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CRITIQUES DE CONCERTS |
01 novembre 2024 |
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RĂ©citals pianistiques russes sous les doigts de Vadym Kholodenko, Yuri Favorin, Lilya Zilberstein, Alexander Ghindin et Alexander Paley Ă la Maison de la Radio, Paris.
Marathon russe
La Maison de la Radio ose un week-end complet autour d’œuvres russes pour piano seul pour commémorer les cent ans de la révolution communiste. Avec pas moins de cinq récitals de cinq pianistes russes ou d’Europe de l’Est le dimanche, dont le premier, exceptionnel dès la première pièce, de Vadym Kholodenko.
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Dès le dimanche matin, le ton est donné avec un récital exceptionnel de Vadym Kholodenko. Le jeune pianiste ukrainien n’a pas la renommée d’un Trifonov et l’auditorium de Radio France compte à peine quatre cents sièges occupés, et pourtant Kholodenko affiche la sérénité et l’équilibre des plus grands.
À peine assis et alors que le public parle encore, il débute les Six contes de fées op. 51 de Medtner avec une rare finesse et une ambidextrie impressionnante, chaque main convergeant exactement vers le même chemin. Le premier morceau présente clairement un univers féérique qui s’exalte dès le deuxième dans un splendide Cantabile. La main droite et ses aigus chatoyants étire ce conte avec calme et douceur pour l’emmener vers le troisième, Allegretto tranquillo e grazioso. Le reste du recueil est du même tenant, mais ce n’était que prémices à la sélection de Préludes de Rachmaninov jouée ensuite. Les Préludes 1 & 2 de l’op. 23 adaptée à un rythme plus dynamique passionnent déjà , mais c’est surtout l’opus 32 et la comparaison avec ceux joués récemment par Kissin à la Fondation Vuitton qui montre quelle maturité et quelle personnalité possède déjà Kholodenko.
Le Cinquième Prélude tire les larmes tant il allie finesse et volupté, avec une main gauche délicate et une gestion très raffinée de la pédale. Il n’y a jamais ici exagération, ni dans le pathos, ni même dans l’élégance de piani quasi imperceptibles, toujours naturels et suffisants pour transporter une incroyable émotion. Le Neuvième est plus volubile, mais dès le Dixième et jusqu’au Douzième la même émotion et la même technique que dans le Cinquième marquent toujours autant. La Sonate n° 5 en fa# majeur op. 53 de Scriabine sera jouée avec plus de nerf, surtout dans la partie grave, mais toujours autant de finesse et d’agilité dans l’aigu ; la partition ne trouvera aucun comparable dans la journée lorsque d’autres sonates du même compositeur seront proposées.
Après un tel concert, le reste de la série en pâtit et malgré l’intérêt de Yuri Favorin au Studio 104 dans des œuvres de Popov, Lourié ou Feinberg, la Sonate n° 10 de Scriabine ne retrouve pas la même grâce. Dans la même salle à 18h, Alexander Ghindin traite lui aussi un ensemble de raretés passionnantes. Il ouvre avec des Aphorismes de Chostakovitch encore un peu durs et pas toujours joueurs, même si le pianiste russe montre qu’il connaît cette musique et ses accents sarcastiques. Son jeu s’adapte mieux aux Excentricités de Miaskovski, comme toujours chez cet auteur d’une grande mélancolie d’arrière-plan, bien exploitée par Ghindin. La Sonate n° 6 op. 82 de Prokofiev jouée avec plus de violence ne trouve pas tout à fait le niveau des Cinq Préludes de Roslavets, et surtout de la Faute de demoiselle mort particulièrement bien traitée ici, notamment dans le mouvement lent.
Le récital d’Alexandre Paley programmé en soirée est le plus décevant, car le pianiste surjoue et cherche l’effet à grands coups de main levée ou de bras droit gardé tendu alors que seule la main gauche joue, au risque de se déconcentrer et de se perdre par la suite. La Sonate n° 3 de Miaskovsky, moins connue que celle de Chostakovitch, parvient tout de même à quelques beaux moments, mais des Visions fugitives de Prokofiev sans aspérité ni encore moins grâce ne parviennent qu’à donner un rendu monochrome seulement perturbé par d’anormales variations de volume.
En après-midi, Lilya Zylberstein proposait son jeu typique de l’école russe, à l’opposé de celui de Kholodenko. Les touches y sont plus martelées et la gestion de la pédale forte intrigue, quasi systématiquement sous pression, même quand la soliste n’appuie pas encore sur le clavier. Les accents sont donc donnés non pas par appui, mais par relâchement de cette pédale, technique efficace dans le Prélude et fugue de Taneïev qui permet de donner une belle ampleur à la Sonate n° 3 de Scriabine, mais offre sans doute trop de corps aux plus subtiles Moments musicaux op. 16 de Rachmaninov.
Il n’en reste pas moins qu’un tel week-end et une programmation si audacieuse auraient mérité bien plus de publicité et des salles nettement plus remplies, surtout celle du matin, pour un pianiste à reprogrammer dès que possible, le jeune Vadym Kholodenko.
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Auditorium de la Maison de la Radio, Paris Le 05/11/2017 Vincent GUILLEMIN |
| RĂ©citals pianistiques russes sous les doigts de Vadym Kholodenko, Yuri Favorin, Lilya Zilberstein, Alexander Ghindin et Alexander Paley Ă la Maison de la Radio, Paris. | NicolaĂŻ Medtner (1880-1951)
Six contes de FĂ©es op. 51
SergueĂŻ Rachmaninov (1873-1943)
Préludes 1 & 2 op. 23 ; 5, 9-12 op. 32
Alexandre Scriabine (1872-1915)
Sonate pour piano n°5 en fa dièse majeur op. 53
Vadym Kholodenko, piano
Dmitri Chostakovitch (1906-1975)
Sonate pour piano n° 1 op. 12
SergueĂŻ TaneĂŻev (1856-1915)
Prélude et Fugue en sol# mineur op. 29
SergueĂŻ Rachmaninov (1873-1943)
Six Moments Musicaux op. 16
Alexandre Scriabine (1872-1915)
Sonate pour piano n° 3 en fa# mineur op. 23
Lilya Zilberstein, piano
Dmitri Chostakovitch (1906-1975)
Aphorismes op. 13
NikolaĂŻ Miaskovski (1881-1950)
Excentricités : 6 esquisses op. 25
NikolaĂŻ Roslavets (1881-1944)
Cinq Préludes
Arthur Lourié (1892-1966)
La Faute de Demoiselle Mort
Alexandre Mossolov (1900-1973)
Trois Pièces op. 23a
SergueĂŻ Prokofiev (1891-1953)
Sonate pour piano n° 6 op. 82
Alexander Ghindin, piano
Dmitri Chostakovitch (1906-1975)
Sonate pour piano n° 2 en si mineur op. 61
NikolaĂŻ Miaskovski (1881-1950)
Sonate pour piano n° 3 op. 19
SergueĂŻ Prokofiev (1891-1953)
Visions fugitives op. 22
Alexandre Scriabine (1872-1915)
Sonate pour piano n° 2 op. 19
Alexandre Paley, piano | |
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