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CRITIQUES DE CONCERTS |
01 novembre 2024 |
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Nouvelle production de l'Enlèvement au sérail de Mozart dans une mise en scène de Luk Perceval et sous la direction de Fabio Biondi au Grand Théâtre de Genève.
Fragments d'un discours amoureux
Au Grand Théâtre de Genève, Luk Perceval revisite le modèle du Singspiel mozartien dans un Enlèvement au sérail qui assume enfin son statut de théâtre parlé et chanté. L'option n'est pas à mettre entre toutes les oreilles mais elle a le mérite de séduire, grâce à un plateau investi et la direction de Fabio Biondi.
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Complicité artistique
Sombre Volga
Hommage au réalisme poétique
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Genève a frappé un grand coup avec cet Enlèvement au sérail revu et corrigé par la romancière turque Asli Erdogan et le dramaturge belge Luk Perceval. La première est passée à l'écriture après une formation initiale de physicienne et plusieurs séjours en prison pour délit d'opinion. On ne s'étonnera pas de trouver à l'origine de ce projet une urgence naturelle qui plonge ses racines dans la politique intérieure du "sultan" Erdogan, que la romancière a désigné dans son Mandarin merveilleux en 1996.
Quand Aviel Cahn, le nouveau directeur du Grand Théâtre, a proposé ce projet à Luk Perceval, celui-ci a saisi la balle au vol en attribuant les textes à une troupe de quatre acteurs qui doublent les rôles chantés. Le livret original fait l'objet d'un consensus mou qui interdit au puriste d'en reconnaître la faible valeur littéraire et l'ampleur politique très contestable. L'occasion de revisiter l'œuvre à la lumière des enjeux contemporains ne saurait souffrir aucune contestation, d'autant qu'elle ouvre sur un paysage sonore et poétique très concentré et cohérent.
Il coule sur ce séjour carcéral au pays de la Sublime Porte un jour noir, désabusé et nostalgique – très loin des affèteries et légèretés en stuc et rocaille. Une fois l'effet de surprise passé, on se plaît à admirer cette course-poursuite continue entre la jeunesse et la vieillesse, tout juste amoindrie par le parti-pris insistant d'un décor unique et rotatif.
Entre clémence et démence, Osmin n'est plus le personnage autoritaire et dogmatique, mais un vieil homme sénile qui multiplie les provocations à caractère sexuel sur sa chaise roulante. Les figures féminines sont traitées sur le modèle de la nostalgie et l'amertume, dont les voix parlées abordent des thèmes comme la mort, le dérisoire et le sublime des sentiments… Un monde où domine la sensation de vivre dans une prison à ciel ouvert et où personne ne communique vraiment.
Le final ne présente ni vaudeville ni chœur des Janissaires, préférant à ces réjouissances trop artificielles dans ce contexte l'émouvant Lied An die Hoffnung suivi par une musique de ballet d'Ascanio in Alba. L'occasion d'apprécier une dernière fois la voix de Julien Behr, dont la prise de rôle en Belmonte avait jusqu'alors paru assez étriquée, notamment dans des airs précautionneux. Les limites du plateau sont en partie imputables à une scénographie qui contraint à passer directement du silence aux airs, sans le truchement des parties dialoguées – dévolues aux acteurs.
La Konstanze d'Olga Pudova se tire avec les honneurs du redoutable Martern aller Arten, malgré des notes de passage et des vocalises parfois décalées. Déception en revanche pour l'Osmin neutre et gris de Nahuel Di Pierro et la Blondchen de Claire de Sévigné, trop uniforme. Denzil Delaere (Pedrillo) sauve les meubles dans Frisch zum Kampfe et le délicat In Mohrenland.
À la tête d'un Orchestre de la Suisse romande dont il a volontairement inversé le placement cordes-vents, Fabio Biondi opte pour des tempi globalement très retenus. Les ensembles sonnent brillamment mais la vision finit par arrondir les angles dramatiques en privilégiant un plateau déjà très sollicité par la cohabitation avec le théâtre parlé.
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Grand Théâtre, Genève Le 28/01/2020 David VERDIER |
| Nouvelle production de l'Enlèvement au sérail de Mozart dans une mise en scène de Luk Perceval et sous la direction de Fabio Biondi au Grand Théâtre de Genève. | Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Die EntfĂĽhrung aus dem Serail, Singspiel en trois actes (1782)
Livret de Johann Gottlieb Stephanie d’après la pièce de Christoph Friedrich Bretzner
Chœur du Grand-Théâtre de Genève
Orchestre de la Suisse romande
direction: Fabio Biondi
mise en scène : Luk Perceval
décors : Philipp Bussmann
costumes : Ilse Vandenbussche
Ă©clairages : Mark Van Denesse
préparation des chœurs : Alan Woodbridge
Avec :
Olga Pudova (Konstanze), Claire de Sévigné (Blonde), Julien Behr (Belmonte), Denzil Delaere (Pedrillo), Nahuel Di Pierro (Osmin), Françoise Vercruyssen, Iris Tenge, Joris Bultynck, Patrice Luc Doumeyrou (Comédiens). | |
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