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CRITIQUES DE CONCERTS |
01 novembre 2024 |
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Nouvelle production d'Aïda de Verdi dans une mise en scène de Lotte de Beer et sous la direction de Michele Mariotti à l'Opéra de Paris.
L'ennui au musée
Présentée en streaming, cette nouvelle production d'Aïda selon Lotte de Beer brille surtout par la qualité de son plateau. La fosse dirigée avec une belle énergie par Michele Mariotti ne parvient pas à surmonter une scénographie plombée par une distanciation de l'héroïne via des marionnettes et l'allusion au pillage colonial sous la forme de tableaux vivants.
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Lotte de Beer l'expose dans la vidéo de présentation : sa mise en scène d'Aïda repose sur un parallèle – historiquement très arbitraire – entre le peuple égyptien en guerre avec ses voisins et les occidentaux qui, au XIXe siècle, ont bâti des empires coloniaux en Afrique et en Asie. Un postulat dans l’air du temps si l'on tient compte des polémiques actuelles autour du manque d'« inclusivité » et des pratiques néocoloniales dans les arts.
Le récent rapport sur la mixité à l'Opéra de Paris évoquait l'interdiction des black, brown et yellow faces, mettant au rebus des décennies de pratiques dans des œuvres comme Otello, Madame Butterfly ou… Aïda. Oubliant au passage que cette production avait été commandée par le précédent directeur, elle devient par le jeu de circonstances sanitaires et idéologiques, l'épreuve du feu du nouveau titulaire Alexander Neef.
Privés de leur identité autant que de leur liberté, Aïda et Amonasro sont interprétés sur scène par deux marionnettes manipulées à vue. Virginia Chihota a conçu le modèle d'Aïda avec tête, bras et jambes articulés, quand Amonasro doit se contenter de la tête et des bras. L'omniprésence de cette équipe de techniciens relègue au second plan les interprètes, réduits à prêter leurs voix sans jamais outrepasser par le jeu d'acteur la caractérisation du personnage.
Frustrante au dernier degré, cette option scénique contraint Sondra Radvanovsky et Ludovic Tézier à rester en retrait, non sans conséquences sur le plan de l'interprétation. Épargnée par ce fardeau, l'Amnéris de Ksenia Dudnikova tire son épingle du jeu et gagne une présence qu'elle n'aurait sans doute pas eue dans une autre mise en scène.
Lotte de Beer ajoute l’idée que l'Occident égyptien et colonial se complait dans la mise en image de ses conquêtes. En résulte une virtuose mais assez vaine galerie de tableaux vivants. Dans un joyeux bric-à -brac se bousculent Napoléon franchissant le Grand Saint-Bernard, Louis XIV et l'Assemblée des dieux, la Bataille d'Alexandre le Grand contre Darius III, La Liberté guidant le peuple ou bien l'apothéose d'Homère… sans oublier la photo des soldats américains plantant la bannière étoilée sur l'île d'Iwo Jima. On aurait bien peine à cerner et discerner Aïda dans ce maelström où l'oreille seule sert de guide.
Le plateau rattrape les intentions désordonnées de la scénographie, à commencer par le Radamès de Jonas Kaufmann. Moins épanoui qu'à Naples en plein air, le ténor maîtrise dans l'art du diminuendo au prix de quelques aigus bâillés qui ne manqueront pas de ravir les aficionados. Sondra Radvanovsky offre à Aida un timbre d'airain et un chant surligné pour pallier l'absence de jeu. O Patria mia ! compte parmi les moments forts avec ce galbe noble mais audiblement corseté. Ksenia Dudnikova est une Amnéris d'un poids et d'une présence souveraines, parfaitement projetée et très homogène de couleurs. Ramfis devra se contenter de la ligne autoritaire de Dmitry Belosselskiy et le Roi de la projection très droite de Soloman Howard – « grimé » sous les traits du controversé Leopold II.
Michele Mariotti dirige un orchestre limité en raison des consignes sanitaires. Au stress de la première et du streaming s'ajoute une attention trop articulée pour conserver les équilibres. La pâte sonore laisser percer de belles envolées dans l'acte du Nil et l’agonie des amants, sommet de la soirée. Malgré les masques et la distance sanitaire, le chœur de l'Opéra de Paris témoigne d'un beau niveau d'expression (Ritorna vincitor) qu'on espère retrouver intact quand la victoire contre le virus sera enfin officielle.
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