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CRITIQUES DE CONCERTS |
01 novembre 2024 |
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Reprise de Lucia di Lammermoor dans la mise en scène de Andrei Şerban, sous la direction d’Aziz Shokhakimov à l’Opéra national de Paris.
Schizophrénie romantique
La Lucia di Lammermoor de Şerban fait partie des rares spectacles qui se bonifient avec les années. Avec des interprètes engagés comme Brenda Rae, Javier Camarena et le jeune Mattia Olivieri, cette pièce gagne en puissance dramatique. Par sa direction attentive et atmosphérique, le chef Aziz Shokhakimov effectue de bien beaux débuts à l’Opéra de Paris.
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En ramenant l’action de Lucia di Lammermoor dans un gymnase de caserne militaire, Andrei Şerban traduit toute la violence des pressions physiques et psychologique subies par l’héroïne. Le chœur situé en hauteur de l’arène observe le délitement de la santé mentale de la jeune femme qui monte périlleusement dans les agrès. Si le non-respect des didascalies avait suscité l’ire du public à la création en 1995, la mise en scène qui a perdu en chemin quelques scories semble aujourd’hui assez classique. Sous l’élégance des costumes et des décors évoquant le XIXe siècle, l’action n’est pas édulcorée pour autant et conserve toute sa force évocatrice. Une distribution solide et équilibrée sert au mieux cette reprise.
Le rôle d’Alisa est bien discret mais Julie Pasturaud lui assure une présence chaleureuse. Normanno veule et détestable, Éric Huchet reprend son personnage avec une cruauté inégalée dans les détails. Thomas Bettinger fait un Arturo impeccable, tandis qu’Adam Palka déploie d’évidentes qualités de timbre et de souffle pour un Raimondo qui ne pèche que dans quelques phrasés indulgents. Mais la sensation du plateau, c’est indéniablement l’Enrico à la présence saisissante de Mattia Olivieri. Si le ramage égale le plumage chez ce baryton déjà expérimenté dont la ligne allie la beauté à la souplesse, il manque à l’acteur un rien d’aisance.
En ce qui concerne le rôle d’Edgardo, il suffit de chanter et c’est ce que fait de manière solaire Javier Camarena en respectant les nuances de la partition en se gardant de tout effet outrancier dans la colère ou le désespoir. Sa partenaire, Brenda Rae observe elle aussi une tempérance stylistique de bon aloi. D’une voix manquant singulièrement de consistance dans le médium et le bas du registre, elle tire le maximum dans les vocalises et dans l’ornementation des reprises. Ses talents d’actrice emportent tout. De l’ingénuité à la panique, Brenda Rae dispose d’une palette émotionnelle qui fait de sa Lucia schizophrène un portrait très personnel.
Dans la fosse, Aziz Shokhakimov fait montre lui aussi d’une approche approfondie. Il donne un ton très sombre à cette histoire tragique et accablante. Fort à propos, il n’hésite pas à ralentir certains tempos pour souligner la gravité de la situation. L’opéra y gagne une authentique atmosphère romantique qu’il n’a pas toujours sous d’autres baguettes ne recherchant que la brillance.
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