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CRITIQUES DE CONCERTS |
01 novembre 2024 |
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Nouvelle production de Lohengrin de Wagner dans une mise en scène de Kirill Serebrennikov et sous la direction d’Alexander Soddy à l’Opéra national de Paris.
Le Chevalier noir
En traitant à rebrousse-poil des thématiques profondes de Lohengrin, le travail très élaboré de Serebrennikov fatigue et captive à la fois. Une distribution de très bon niveau, des chœurs exaltés et un orchestre lyrique ne font que souligner le talent du chef Alexander Soddy qui après Peter Grimes remporte son deuxième triomphe à l’Opéra de Paris.
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C’est entendu. Sous peine de se retrouver en difficulté pendant le spectacle, il faut lire le synopsis écrit par Daniil Orlov, le dramaturge de cette nouvelle production. Elsa qui a perdu son frère Gottfried à la guerre souffre de délires profonds. Le chevalier angélique qui vient à son secours se révèlera un soldat comme les autres, tandis qu’Ortrud et Telramund cherchent au contraire à soigner toutes les gueules cassées du conflit. Pendant le prélude, un film au noir et blanc léché montre Elsa et son frère dans la forêt. Ces images d’un bonheur disparu ne collent pas tout à fait à l’immatérialité de la musique. Le plongeon du jeune homme dans un lac au moment même du climax ne résout pas ce problème.
Serebrennikov charge l’action de lourdes intentions. Trois Elsa hystériques dont une à poil, des démons à têtes d’épingle agitant caricaturalement des trompettes, la cour du Roi Henri, tous se retrouvent devant un décor claustrophobe dont les portes volent et roulent et dont les murs se couvrent de projections évoquant l’état mental encombré de l’héroïne. Au début du II, la division tripartite chère au metteur en scène passe mieux. Et pour la scène de la cathédrale devenue hôpital, cette division s’aère avec le monde des soldats la fleur au fusil à jardin, les blessés au centre et la morgue à cour, avec une lisibilité dramaturgique évidente.
On sait gré au metteur en scène de mettre un peu de réalisme fantastique lorsque les sacs mortuaires s’ouvrent et que les morts ressuscitent les uns après les autres sous l’œil effaré du préposé. Mais c’est le III qui voit vraiment l’aboutissement du propos avec un nouveau film à l’esthétique très soviétique montrant des soldats meurtris et des slogans va-t’en-guerre tirés du livret. Avec cette musique triomphante, le propos antimilitariste devient limpide. Le plateau dévasté montre un désastre général. Le costume de Lohengrin qui s’est assombri au fil des scènes est maintenant un treillis comme les autres. À ses pieds, les sacs contenant les corps de Telramund et de ses hommes. Un seul ressuscitera avec le départ du chevalier : Gottfried de Brabant, alors que les femmes s’effondrent.
Un plateau de choix sert cet univers. Piotr Beczala garde tout pour un dernier acte d’anthologie où il mêle diction et legato dans une lumière de rêve troublante dans ce contexte. Johanni van Oostrum chante aussi bien les longues phrases que les passages dramatiques. Sans doute pourrait-on imaginer une personnalité plus marquante pour une production qui la place au centre. L’Ortrud de Nina Stemme triomphe par une présence exceptionnelle. Face à elle, le Telramund de Wolfgang Koch paraît plus veule que jamais, parfois effacé mais toujours nuancé pour un portrait d’une rare complexité. Le Roi de Kwangchul Youn et le Hérault de Shenyang sont impeccables mais on atteint une sorte de nirvana vocal avec une prestation absolument époustouflante des chœurs de l’Opéra.
À ce travail d’exception répond un orchestre qui atteint également des sommets. Alexander Soddy a dispersé les cuivres dans la salle pour les sonneries et appels qui émaillent la partition. L’effet acoustique saisit et participe au merveilleux de l’œuvre. Une mise en place exemplaire qui arrive à une clarté étonnante des plans sonores tout en parvenant à ne rien retenir de l’élan lyrique et dramatique de l’œuvre. Chapeau !
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