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CRITIQUES DE CONCERTS |
01 novembre 2024 |
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Récital du baryton Matthias Goerne accompagné au piano par Evgeny Kissin au Théâtre des Champs-Élysées, Paris.
L’envol du poète
Poursuivant ses rencontres avec les pianistes les plus divers, le baryton Matthias Goerne présente un programme avec Evgeny Kissin. Le jeu pianistique de ce dernier, plus vertical que d’autres, amène le chanteur à une expressivité souvent fantomatique dans Les Amours du poète de Schumann, et dans des Brahms où la mélodie se retrouve dans état de dépouillement onirique.
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Complicité artistique
Sombre Volga
Hommage au réalisme poétique
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Ce soir Matthias Goerne ne quitte pas son emplacement préféré : tout contre le piano, comme protégé par le couvercle. Le baryton n’en est pas moins mobile, se balançant sur les jambes pour accompagner la mélodie ou pour libérer le diaphragme, mais il demeure dans son havre. Les premiers Lieder de Schumann du programme sonnent avec un léger voile alors que le piano de Kissin semble manquer de matière. Ce dernier rectifie la chose pour les Dichterliebe, parfois au prix d’une certaine dureté. Le pianiste russe use à présent d’un jeu impérieux, marquant particulièrement les accords plus qu’il ne cultive la fluidité.
Goerne alterne entre le grave évocateur du Rhin et un registre plus aigu souffrant d’une légère instabilité. Cette fragilité, le chanteur l’utilise avec art pour traduire les affres du poète jusqu’à la vision proprement fantomatique de Ich bab’ mein Traum geweinet. Mais c’est dans l’ultime Die alten, bösen Lieder que chanteur et pianiste se rejoignent pour atteindre un mélange d’ironie à fleur de peau et de romantisme crépusculaire. Les deux artistes poursuivent en enchaînant sans pause ni applaudissements le programme, ce qui favorise la concentration et une remarquable qualité d’écoute du public.
La partie du récital consacrée à Brahms s’ouvre avec un groupe de Lieder composés sur des poèmes de Heinrich Heine. Sur le piano sombre et projeté de Kissin qui convient sans doute mieux à cet univers que le précédent, Goerne trouve des trésors de tendresse dans Sommerabend dont il accentue les mélismes pour s’abandonner ensuite à la noirceur de Der Tod, das ist die kühle Nacht. Avec le groupe de Lieder réunis sous le numéro d’opus 32, on retrouve la figure de l’amoureux blessé dans son for intérieur, d’abord d’un pessimisme sans échappatoire puis idéalisant ses amours anciennes pour retrouver la mise à distance et donc la confiance.
Les deux artistes figurent parfaitement ce cheminement depuis une dislocation musicale jusqu’au retour très progressif des tonalités plus lumineuses et de la mélodie dans une dernière vision extatique : Wie bist du, meine Königin. Un unique bis, Lerchengesang, l’une des mélodies les plus dépouillées de Brahms, convient parfaitement à ces interprètes. Les lents arpèges de Kissin qui se plaît à souligner les légères dissonances de sa partie semblent accompagner Goerne à prendre son envol.
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Théâtre des Champs-Élysées, Paris Le 28/03/2024 Thomas DESCHAMPS |
| Récital du baryton Matthias Goerne accompagné au piano par Evgeny Kissin au Théâtre des Champs-Élysées, Paris. | Robert Schumann (1810-1856)
Abends am Strand, op. 45 n° 3
Es leuchtet meine Liebe, op. 127 n° 3
Mein Wagen rollet langsam, op. 142 n° 4
Dichterliebe, op. 48 (1840)
Johannes Brahms (1833-1897)
Lieder sur des poèmes de Henrich Heine
Lieder und Gesänge, op. 32
Matthias Goerne, baryton
Evgeny Kissin, piano | |
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