












|
 |
CRITIQUES DE CONCERTS |
23 mai 2025 |
 |
Création du spectacle Stabat Mater mis en scène par Romeo Castellucci et sous la direction de Barbara Hannigan à la cathédrale Saint-Pierre de Genève.
Mater dolorosa
Dans la programmation du Grand Théâtre, pensée pour la vaste nef de la cathédrale Saint-Pierre de Genève, cette mise en scène du Stabat Mater de Pergolèse par Romeo Castellucci séduit autant par ses partis pris qu'elle déçoit par ses conventions, malgré la présence de la cheffe et soprano Barbara Hannigan et du contre-ténor Jakub Jósef Orliński.
|
 |
Le Hollandais flottant
Triomphe romain
Strass et solitude
[ Tous les concerts ]
|
Romeo Castellucci propose une scénographie à la frontière de la performance et de la liturgie, dans l'espace de la cathédrale Saint-Pierre de Genève. Dans ce haut lieu du calvinisme, où l'irruption des iconoclastes en 1535 détruisit des images jugées impures, l’Italien réintroduit une forme de cérémonie où l'image redevient le centre d'un rituel énigmatique. Le choix musical s'est porté sur le Stabat Mater de Pergolèse.
Cette œuvre centrale est encadrée, à la manière d'un triptyque, par les Quattro pezzi per orchestra (1959) et les Three Latin Prayers (1970) de Giacinto Scelsi – deux partitions qui témoignent de l'importance accordée par le compositeur au son comme microcosme, riche de vibrations, de microtonalités et de couleurs. Construit sur une esthétique fondée sur une lenteur visuelle assumée et une indéniable beauté plastique, le spectacle se déploie dans une nef traversée par une longue scène courant du chœur jusqu'à la porte d'entrée.
Barbara Hannigan et Jakub Jósef Orliński en sont les deux protagonistes et les deux témoins : ils incarnent la parole du texte de Jacopone da Todi. Tous deux observent une Vierge murée dans un mutisme douloureux. Cette triangulation du regard constitue le fil rouge d'une série de symboles ternaires – les longues lances motorisées, qui dessinent des figures dans l'espace et percent métaphoriquement le cœur de la Vierge au moment du Cujus animam.
Un groupe de figurants compose en parallèle une série de tableaux vivants empruntés à l'iconographie de la peinture classique et à certaines scènes déjà vues dans les pièces antérieures de Castellucci. Des enfants miment les souffrances des témoins de la crucifixion, se substituant à la Vierge, chacun portant une reproduction du Christ mort – étrange variation d'une Descente de croix, où se rejouent ensevelissement et résurrection.
Cette image précède l'irruption d'une croix réduite à un pilier central : on y voit, tel un gros plan, un figurant agenouillé, figure de la souffrance, qu’il s’agisse de celle de Marie ou d'un supplicié anonyme sur son poteau d'exécution. Séduisant par la qualité et la précision de son dispositif, le projet laisse pourtant apparaître des lignes de fragilité dans la facilité de certaines images – les musiciens en treillis militaires, les solistes en longues robes d'officiants – et un sentiment récurrent de feuilleter un catalogue d'images familières.
Barbara Hannigan dirige avec assurance l'ensemble Contrechamps dans les Quattro pezzi, là où les Three Prayers pâtissent du défi de diriger à distance les jeunes chanteurs de la Maîtrise populaire de Genève, placés dans la chapelle des Macchabées. Seul l'Alléluia, chanté a cappella par la soprano, échappe à cette difficulté.
Le choix de tempi souvent extrêmement lents dans le Stabat Mater - dirigé depuis son pupitre par le premier violon d'Il Pomo d'Oro – met parfois en difficulté la voix de Barbara Hannigan, contrainte à des changements de registre que Jakub Jósef Orliński négocie avec plus d'aisance. Mais l'intensité du jeu et la présence scénique des deux artistes suffisent à reléguer ces réserves au second plan.
|  | |

|
Grand Théâtre, Genève Le 10/05/2025 David VERDIER |
 | Création du spectacle Stabat Mater mis en scène par Romeo Castellucci et sous la direction de Barbara Hannigan à la cathédrale Saint-Pierre de Genève. | Giovanni Battista Pergolesi (1710-1736)
Stabat Mater (1736)
Giacinto Scelsi (1905-1988)
Quattro pezzi per orchestra (1959)
Three Latin Prayers (1970)
Jakub Jósef Orliński, contre-ténor
Ensemble Contrechamps (Quattro pezzi)
Il Pomo d'Oro (Stabat Mater)
Maîtrise populaire de Genève (Three Prayers)
direction & chant : Barbara Hannigan |  |
|  |
|  |  |
|