Le Premier Concerto pour violoncelle de Chostakovitch s’entend fréquemment ces derniers temps à la Philharmonie, sans doute en raison du cinquantenaire de la mort du compositeur. Sol Gabetta en propose une lecture en tout point différente de celle donnée par Sheku Kanneh-Mason en mars. La violoncelliste possède une sonorité assurément moins projetée mais non moins belle que celle de son jeune confrère. Surtout, elle fait entendre une versatilité de couleurs et d’attaques qui rendent davantage justice aux facettes ambivalentes de l’œuvre.

Son lyrisme admirable dans le Moderato se prolonge dans la cadence pour laisser la place progressivement au sarcasme. L’entente semble grande entre la soliste et le chef Tugan Sokhiev qui obtient des musiciens de Staatskapelle de Dresde des commentaires goguenards ou alarmants, le tout dans un camaïeu de couleurs ensorcelantes. Avec l’excellent claviériste au célesta, Gabetta offre en bis un arrangement de Nana, l’une des Sept chansons populaires espagnoles de Manuel de Falla.

En deuxième partie de programme, Sokhiev présente une œuvre emblématique du répertoire de la formation dresdoise, la Symphonie n° 7 de Bruckner. Il suffit du trémolo initial pour saisir la chance qu’on a d’entendre désormais cette formation dans la salle Pierre Boulez de la Philharmonie. Sorti de son rôle d’accompagnateur de la première partie, l’orchestre brille de ses feux boisés inimitables comme jamais jusqu’ici à Paris.

La magie de l’acoustique n’assèche pas ces timbres reconnaissables entre tous, elle les magnifie. Au velouté des cordes répondent des bois à la clarté singulière et des cuivres dont la rondeur renforce l’assise fondamentale de la phalange. La signature est parachevée avec l’intervention dans l’Adagio des quatre Tuben comme des gardiens du temple d’une tradition admirable. Mais dans le même temps, les musiciens réagissent avec une souplesse étonnante à la direction personnelle de Tugan Sokhiev.

Il communique à l’ensemble une sobriété sans aucune raideur qui dépouille la partition de toute surcharge émotionnelle. À mains nues, il modèle tel un sculpteur les masses sonores. Il lui suffit d’une inflexion pour que l’orchestre adapte aussitôt sa dynamique dans un jeu d’oppositions à l’architecture sous-jacente qui progressivement émerge de la matière originelle.

Le lyrisme du mouvement lent se retire au profit d’une introspection âpre. Le Scherzo perd toute la naïve innocence que pouvait y avoir mis le compositeur : rien ne saurait détourner de leur but les forces créatrices supérieures. Le Finale confirme la puissance d’une lecture abstraite. Au fond, Sokhiev semble diriger la Septième comme s’il s’agissait de la Cinquième ! La beauté sans pareil d’une Staatskapelle à l’homogénéité et à la cohésion stupéfiantes finit de convaincre l’oreille d’accepter cette vision sans aménité mais qui laisse une impression durable de splendeur tellurique.