Installé provisoirement au Casino Barrière de Lille en raison de travaux dans le bâtiment du Nouveau Siècle, l’Orchestre National de Lille offrait, pour conclure sa saison, un concert festif pendant les Nuits d’été. Un couronnement pour le chef Joshua Weilerstein dans un programme autour de Kurt Weill avec, en point d’orgue, Les Sept Péchés capitaux traités de manière poétique et ludique.

Le public se pressait nombreux pour s’immerger dans l’esprit du cabaret de l’entre-deux-guerres entre extraits de comédies musicales berlinoises, Le Bœuf sur le toit de Darius Milhaud et Les Sept Péchés capitaux sur un texte de Bertolt Brecht mis ici en espace entre théâtre musical, mime, ballet et opéra. Pour mettre en appétit, la soprano Isabelle Georges, avec l’abattage qu’on lui connaît, interprète un florilège de songs et de chansons expressionnistes signées Kander, Hollaender et Weill, y instillant tout le venin cher à cette musique alternant agressivité, ironie décapante, sens mélodique sensuel.

En Monsieur Loyal, l’humoriste belge Alexandre Vizorek apporte une note d’humour décalé et actualisé provoquant l’hilarité de la salle. De son côté, Joshua Weilerstein conclut la première partie par Le Bœuf sur le toit avec un véritable sens rythmique tout en sachant dégager la polyphonie foisonnante et colorée de l’œuvre.

Après l’entracte, Les Sept Péchés capitaux – créés à Paris en 1933 au Théâtre des Champs-Élysées au cours de l’exil parisien de Weill peu avant son départ aux États-Unis deux ans plus tard – sont rendus avec beaucoup d’à-propos par l’ONL et son chef. Chaque tableau relatant le parcours du personnage central, Anna, et de son double (rôle dansé), depuis la Louisiane au cours d’un road movie des grandes villes américaines, constitue un vivier propre à la tentation des fameux péchés capitaux (paresse, orgueil, colère, gourmandise, luxure, avarice et envie).

Le décor minimaliste de fer et de néons côté cour permet aux deux interprètes de déambuler dans l’espace sans difficulté tandis qu’un quatuor vocal très pittoresque, voire burlesque formé du père, de la mère et des deux frères tous attablés côté jardin, scande des chœurs matérialistes sur la nécessité de gagner l’argent nécessaire pour construire un petit pavillon sur les bords du Mississippi.

Une critique acerbe de la société américaine d’alors qui a valeur d’actualité. La mezzo-soprano Bella Adamova se meut de manière idiomatique dans le registre de son personnage entre Sprechgesang, lyrisme et ironie douce-amère, voire canaille. L’autre Anna silencieuse incarnée par Jess Gardolin réalise une chorégraphie particulièrement suggestive de danseuse aguicheuse, corps d’une souplesse de liane qui n’hésite pas à exploiter tous les ressorts de séduction face aux hommes.

L’ONL fait feu de tout bois sous la direction engagée de son chef dans un spectacle d’une belle cohérence, fidèle à l’esprit d’une œuvre plus rare sur nos scènes que l’illustrissime Opéra de quat’sous.