L’arrivée dans le Parc du Château de Florans à l’ombre de l’allée des 365 platanes et d’une trentaine de séquoias pluricentenaires constitue toujours une source d’émerveillement. Les organisateurs du Festival de la Roque d’Anthéron ont rendu l’endroit encore plus convivial en y installant un village où l’on peut, une heure trente avant les concerts, déambuler au milieu des stands de restauration.

Dang Thai Son est devenu un habitué du festival, auréolé non seulement de sa victoire au Concours Chopin en 1980, mais aussi de sa réputation de pédagogue dans le monde entier grâce aux succès de ses élèves dans les concours internationaux – dont le Premier Prix de Bruce Liu à Varsovie en 2021.

Sophia Liu (16 ans) étudie toujours avec le maître à Montréal. Dès son apparition, cette jeune fille filiforme, vêtue d’une longue robe bleu ciel pailletée témoigne d’une réelle assurance dans les Variations sur Là ci darem la mano de Chopin, où ses doigts de fée parcourent le clavier. C’est dans le Concerto n° 1 que se vérifie, outre la technique prodigieuse de l’interprète, sa capacité à pénétrer un univers mouvant où la maîtrise du rubato est condition sine qua non. La maturité aidant, le jeu de Sophia Liu saura se faire plus dense et pénétrer davantage la profondeur du clavier.

D’ores et déjà, son contrôle, son sens du phrasé, la perfection du legato, le pouvoir de meubler les silences (Larghetto), d’instiller de l’énergie au risque de précipiter le tempo (Rondo), portent la marque d’un talent en gestation. Le Caprice-galop de Gottschalk en bis termine en feu d’artifice une prestation digne de tous les éloges.

Une courte page symphonique de Duparc ouvre la seconde partie. Aux étoiles constituait un entracte pour l’opéra La Roussalka laissé finalement en jachère. Musique nocturne parfaitement adaptée à l’atmosphère romantique du lieu, défendue par Benjamin Levy avec fluidité ; les instrumentistes nuancent à merveille cette partition tout en simplicité.

Le Concerto n° 2 de Chopin par Dang Thai Son coule ensuite de source avec un sens inné de la respiration qui fait de lui l’un des interprètes de rêve de cette œuvre. Plus intimiste que démonstratif, le soliste au toucher profond se montre également agile et soucieux de plasticité. Il atteint dans le Larghetto une forme d’onirisme qui se transmet à l’auditoire. Le Finale jaillit avec une liberté sans cesse contrôlée ; l’accompagnement évite l’aspect monolithique que certains chefs cultivent à l’envi. Tout semble transparent, quasi mozartien.

Mouvements de tabourets après les acclamations fournies : Dang Thai Son et Sophia Liu partagent le même esprit de dialogue dans les rares Variations à quatre mains sur un thème irlandais, conclusion en demi-teinte au moment où la nuit prend définitivement ses quartiers.