Les arbres du parc du château de Florans bruissent sous les rafales du mistral qui s’est réveillé ce soir. Très british dans sa tenue vestimentaire, Benjamin Grosvenor, sans perdre de temps, attaque le thème et variations le rare Blumenstück op. 19 de Schumann ; une interprétation qui abandonne le caractère de salon de ces pièces de fleurs d’après la poésie de Jean Paul Richter pour lui procurer couleur et densité.

La substantielle Fantaisie op. 17 est d’une autre trempe, et bien des pianistes s’y sont confrontés sans nécessairement en trouver le fil conducteur. En dépit d’un pianisme superbe d’élan et malgré les qualités de phrasé, le soliste paraît se chercher dans le mouvement initial mais retrouve toute son énergie dans la partie centrale, puis la tendresse évanescente in fine.

Après l’entracte, les Tableaux d’une exposition de Moussorgski (1874) suivent un parcours haut en couleurs, du leitmotiv de la Promenade jusqu’à La Grande porte de Kiev. À travers les métamorphoses des différentes séquences, Grosvenor se joue à merveille des contrastes et envoûte non seulement par sa virtuosité (Ballet des poussins dans leurs coques, Marché de Limoges) mais aussi par son art quintessencié de raconter une histoire en variant les registres allant du pittoresque (Samuel Goldenberg et Schmuyle) à la démesure (Grande porte de Kiev épique et grandiose).

Sous des doigts puissants, ce dernier tableautin, sous le déferlement des gammes en octaves et l’exaltation des cloches, s’élève à la dimension d’un véritable orchestre dans un crescendo conclusif halluciné qui emporte littéralement le public hélas dispersé, sans doute par crainte des conditions météorologiques.

Les Jeux d’eau de Maurice Ravel finement ciselés et d’un dosage raffiné s’écoulent, fluides et subtils dans la nuit provençale comme apaisée par la magie de l’interprète, constituant un bis de choix pour terminer ce récital hors norme distillé avec une science peu commune.