Chef d’orchestre parfois discutable, Mikhaïl Pletnev est également et surtout un pianiste remarquable dont l’approche du clavier ne s’arrête pas à l’interprétation traditionnelle, mais plutôt à une véritable recréation comme si ce vainqueur du Concours Tchaïkovski 1978, auteur de transcriptions désormais célèbres, devenait aussi compositeur. La fausse désinvolture de son entrée sur scène à pas comptés disparaît dès qu’il pose les doigts sur son Kawai familier.

Les quatre Préludes et Fugues de Bach extraits du Livre I (en sol mineur BWV 861 et en sib mineur BWV 867) ou du Livre II (en ré majeur BWV 874 et BWV 884) du Clavier bien tempéré qu’il a choisis en ouverture ne participent pas d’un exercice académique mais plutôt d’une recherche stylistique profondément pensée. La liberté capricieuse des préludes comme la rigueur contrapuntique des fugues sont traitées avec une facilité déconcertante, dégagée de toute gangue technique.

Ce n’est pas un hasard si Pletnev a choisi ensuite les Kreisleriana de Schumann où il fait fi du romantisme inquiétant cher à E.T.A. Hoffmann et à son roman fantastique Le Chat Murr au profit d’un classicisme sans fard attaché plus à la forme qu’au vertige des mouvements de l’âme. Il en ressort une exécution moins exaltée que d’ordinaire mais fascinante par sa filiation avec le Cantor de Leipzig dont Schumann appréciait tant l’œuvre au point de commettre une version des Sonates et Partitas pour violon accompagnées au piano.

Comme Sviatoslav Richter jadis, la seconde partie est consacrĂ©e Ă  un florilège de seize des Pièces lyriques de Grieg parmi les 66 miniatures distillĂ©es entre 1867 et 1901 par le compositeur norvĂ©gien tel un carnet de voyage aux humeurs les plus contrastĂ©es. Ces « bonbons fourrĂ©s de neige Â» comme les appelait Claude Debussy non sans humour, ne sont pas tous des chefs-d’œuvre, mais parmi eux se glissent des moments de mĂ©lancolie ou de danse Ă  la subjectivitĂ© touchante.

Mikhaïl Pletnev les aborde dans la continuité à la manière d’un poème musical rendu subtil par son approche. Se succèdent loin de tout folklore : Chant national, Berceuse, Nocturne, Élégie, Ballade, Valse-impromptu, Mélodie, Papillon, Petit oiseau, Scherzo… et en conclusion Puck op. 71 n° 3, dont l’auteur du Prélude à l’après-midi d’un faune aurait pu faire son miel. Le tuilage fort réussi évite la monotonie et suscite un sentiment de pureté minérale exempt de caractère percussif.

Après s’être fait prier par un public conquis, le soliste offre en bis un moment vocal à la sophistication extrême en jouant le Nocturne n° 3 en mib op. 9 n° 2 de Chopin, puis une dernière friandise avec la Scène du carnaval extraite des Trois scènes de la vie populaire op. 19 n° 3 de Grieg. La boucle est bouclée et le sorcier termine par une féérie de couleurs ce récital où l’intelligence se conjugue à un art quintessencié.