Dans les années 1990, le jeune Arcadi Volodos (né en 1972), dès ses premiers concerts donnés en France, inscrivait Franz Schubert à ses programmes à côté de morceaux plus extravertis où il synthétisait en quelque sorte l’art d’Horowitz et de Cziffra, son mentor. Avec le temps, sa passion pour le divin Franz ne s’est pas tarie, correspondant à sa volonté de pénétrer le tréfonds des œuvres et de rechercher sous la narration poétique et la variété de couleurs une forme d’ascèse instrumentale – comme l’ont prouvé ses interprétations au disque des pages ultimes de Brahms ou celles liées à la quête spirituelle de Mompou.

À La Roque-d’Anthéron, son parcours schubertien débute par les Six Moments musicaux (1823-1828) pour lesquels il adopte des tempi relativement lents comme pour s’évader du monde réel, préférant la confidence et la nostalgie à la chevauchée pourtant présente dans le Moment musical n° 5 en fa mineur.

Le raffinement du toucher, la simplicité de ton n’interdisent cependant ni la tension, ni l’agitation, mais l’éloquence de la démarche parvient à projeter dans le sixième et dernier Moment musical en lab majeur chargé d’équivoque harmonique un sentiment sous-jacent de souffrance. Les deux transcriptions de Liszt de Lieder de Schubert (Litanie sur la Toussaint et Le Meunier et la rivière extrait de La Belle meunière) recèlent une dimension vocale quintessenciée sous des doigts d’une fluidité arachnéenne.

En seconde partie, la Sonate en la majeur D. 959 habite l’éternité dans un Andantino obsessionnel et bouleversant après un Allegro initial d’une souplesse expressive et d’une limpidité où le dépouillement le dispute à l’expressivité. Le Scherzo retrouve le bonheur d’une danse retenue tandis que le rondo final Allegretto, véritable invitation au voyage, s’étire hors du temps enveloppé de lumières changeantes, telle une improvisation qui ne laisse pas indemne.

Les quatre bis sont de la même eau dans une alternance savamment distillée : au Ländler soupesé de Schubert s’oppose le feu d’artifice de la Rhapsodie hongroise n° 13 de Liszt, tzigane à souhait et d’une vélocité à se damner dans la friska survoltée. L’Intermezzo op. 117 n° 1 de Brahms est murmuré jusqu’au silence tandis que Pajaro : oiseau triste de Mompou extrait des Impressions ultimes conclut dans les étoiles ce concert dispensé par l’un des pianistes majeurs d’aujourd’hui.