Alpha et oméga de la musique pour clavier, les Variations Goldberg de Bach (1741) constituent pour tout pianiste un Everest à gravir par la face la plus abrupte. Yunchan Lim, du haut de son jeune âge (21 ans), s’attaque avec une certaine témérité à ce monument que d’autres pianistes ont remis maintes et maintes fois sur le métier avant de s’y atteler. La réussite est au rendez-vous et son interprétation, sans être franchement romantique, ne cherche pas à s’attacher à une exécution historiquement informée.

Là où le Cantor de Leipzig laisse libre court tout autant à la densité contrapuntique qu’à l’imagination et à l’improvisation, le soliste, sans copier ses prédécesseurs (et en premier lieu Glenn Gould), se montre inventif tout au long du déroulement des trente variations d’une difficulté croissante. Dès les trente-deux mesures de l’Aria, le ton est donné, et la conception d’ensemble, bien que fidèle à l’original, se révèle à mille lieues de l’exercice d’école.

Les variations libres comme les variations de virtuosité pure à caractère de toccata qui exigent croisements et déplacements rapides des mains sur toute l’étendue du clavier ne lui posent aucun problème technique, et les variations canoniques (3, 6, 9, 27) ou celles en mouvements contraires (12 et 15) sont abordées avec la même aisance confondante, comme le feu d’artifice des variations 28 et 29, d’une puissance martelée à la vélocité sans limite.

L’humour se glisse dans le savant quodlibet de la variation 32 sur les deux chansons populaires en canon, et la reprise in fine de l’Aria tient compte du long chemin parcouru tel un regard sur l’infini toujours recommencé. Debout, le public refuse de quitter le parc, mais avec intelligence, le soliste tapote quelques brèves notes ascendantes puis descendantes pour clore une prestation aboutie qui se suffit à elle-même. Il va sans dire que Yunchan Lim, en maître des horloges, a d’ores et déjà un avenir tout tracé devant lui.