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CRITIQUES DE CONCERTS |
15 octobre 2025 |
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Création mondiale d’Antigone de Pascal Dusapin dans une mise en scène de Netia Jones et sous la direction de Klaus Mäkelä à la Philharmonie de Paris.
Un luxueux désarroi
Le nouvel opératorio de Pascal Dusapin, Antigone, créé à la Philharmonie de Paris, s’offre comme la continuation sans rupture ni novation d’une œuvre au long cours. Ce bel opus est servi avec grand luxe par la mise en scène non invasive de Netia Jones, la direction passionnée de Klaus Mäkelä et un groupe de chanteurs soigneusement choisi.
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Avec Antigone, figure emblématique de la tragédie antique, Pascal Dusapin présente son douzième opéra. L’affrontement entre bien moral et bien public conserve son actualité brûlante. Le compositeur a élaboré lui-même son livret à partir de la traduction de la tragédie de Sophocle par Hölderlin. Il a habilement réduit la pièce mais n’a pas souhaité traduire le texte allemand du poète.
Avec ce drame intemporel, Dusapin poursuit l’exploration d’un genre qu’il s’est approprié, l’« opératorio », qui remonte à l’Oedipus Rex de Stravinski. Du reste, il n’y a pas de rupture avec ce nouvel opus qui semble reprendre le fil laissé avec un précédent ouvrage antiquisant, Penthesilea. Mêmes tensions dans l’orchestre, même tempo et même mezzo-forte dominant.
L’oreille retrouve les aplats et nappes de cordes, les mélopées de flûte, les percussions et les soudaines stridences faisant office de scansions. Prélude et interludes montrent un art de l’orchestration à son sommet. En même temps, ce refus de marquer la temporalité fait que l’œuvre ne semble pas vraiment évoluer entre son début et sa conclusion. L’écriture vocale sonne tout aussi dense.
Dusapin exploite à présent beaucoup mieux la richesse des tessitures, sauf peut-être dans le cas d’Antigone dont le mezzo semble se cantonner dans le bas du registre. Le recours à un contre-ténor pour le Coryphée offre l’un des plus beaux moments de la partition, où le compositeur allège l’accompagnement avec des effets qui semblent se souvenir du Curlew River de Britten. Curieusement, la scène la plus forte ne sort pas des affrontements entre Antigone et Créon, mais de la confrontation du roi de Thèbes avec le devin Tirésias.
Ce bel ouvrage bénéficie d’une mise en scène sobre de Netia Jones, qui a installé sur une estrade en fond de scène de grands piliers faisant autant office de bordure de palais que d’entrée de grotte ou de tombe. Quelques vidéos abstraites projetées sur ce décor, deux écrans figurant des retransmissions du discours royal suffisent à prouver que la représentation lyrique reste possible dans une salle de concert. La sonorisation discrète confond par son excellence. Dans la fosse créée au parterre, Klaus Mäkelä dirige avec conviction un Orchestre de Paris d’une superbe cohésion et prodigue en couleurs.
Le luxe de cette création mondiale se trouve parachevé avec la distribution. Certes, la mezzo Christel Loetzsch n’est paradoxalement pas la mieux servie avec le rôle-titre, le compositeur la poussant trop souvent à un parlando restrictif. Face à elle, l’intense Créon de Tómas Tómasson tient la longueur par la solidité de son émission et trouve le juste désespoir dans son effondrement. Du court rôle déchirant d’Ismène, Anna Prohaska tire le meilleur, de même que le jeune Thomas Atkins en Hémon.
Edwin Crossley-Mercer et Serge Kaludji, respectivement Tirésias et Coryphée, ne sont pas pour rien dans le succès de leur scène. La surprise de la soirée vient avec le rôle du Messager qui se révèle central, entre dénonciation et figure totalement impuissante face à l’implacable tragédie. Le baryton Jarrett Ott incarne le plus pur désarroi résultant de ce conflit à jamais irréductible.
Diffusion le 29 octobre sur France Musique. Une diffusion vidéo est prévue ultérieurement sur ARTE Concert et Philharmonie Live.
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Philharmonie, Paris Le 07/10/2025 Thomas DESCHAMPS |
 | Création mondiale d’Antigone de Pascal Dusapin dans une mise en scène de Netia Jones et sous la direction de Klaus Mäkelä à la Philharmonie de Paris. | Pascal Dusapin (*1955)
Antigone, opératorio en cinq actes
Livret du compositeur d’après la tragédie de Sophocle dans la traduction allemande de Friedrich Hölderlin
Création mondiale
Orchestre de Paris
direction : Klaus Mäkelä
mise en scène, costumes, dispositif : Netia Jones
vidéo : Lightmap
éclairages : Éric Soyer
Avec : Christel Loetzsch (Antigone), Anna Prohaska (Ismène), Tómas Tómasson (Créon), Jarrett Ott (Un messager), Thomas Atkins (Hémon), Edwin Crossley-Mercer (Tirésias), Serge Kakudji (Coryphée). |  |
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