Représenter Pelléas et Mélisande tient toujours du défi et appelle sans cesse de nouvelles significations tant l’ouvrage ne relève ni d’aucun temps, ni d’aucun lieu, tout en possédant une forte charge symbolique incluse dans le livret du Belge Maurice Maeterlinck.

L’originalité vient ici de la présence quasi continue de huit remarquables danseurs masculins presque nus auxquels les chorégraphes Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet ont assigné un rôle essentiel : ils entourent sans cesse les chanteurs, les accompagnent par leur gestuelle et suggèrent leur psychologie sous-jacente. Ainsi se crée une osmose entre eux et les personnages qui entrent dans le même rituel chorégraphique.

La scénographie de Marina Abramović, d’une imagination débordante et parfois profuse à l’excès, ajoute un élément majeur au sein d’un espace sphérique et énigmatique dont se détachent des cristaux originels en mutation permanente, capables d’engranger toute la mémoire du monde.

Des énormes blocs en forme de menhirs sont déplacés et suivent la progression de l’action, partie-prenante du monde intérieur des personnages prisonniers d’un huis-clos dont ils ne sortiront pas indemnes. Ici, les symboles sont évacués bien que les éléments naturels, en particulier l’eau, transparaissent de manière abstraite. Dans ce jeu d’ombre et de lumière, les éclairages tamisés d’Urs Schönebaum créent une impression de mystère à l’instar des superbes costumes d’Iris van Herpen.

Le plateau fait preuve d’une belle homogénéité. Mari Eriksmoen, toute de grâce et de charme, très soucieuse de la prosodie, caractérise Mélisande avec élégance, subtilité et inquiétude. Björn Bürger possède l’étoffe de Pelléas, et sa qualité de diction emporte l’adhésion. Juvénile, enthousiaste, il force parfois ses aigus, mais se montre très à l’aise dans la tessiture de baryton Martin.

Profond et d’une grande noblesse, l’Arkel de Nicolas Testé, au phrasé toujours égal, exprime une humanité prenante tandis que le Golaud puissant de Leigh Melrose sait allier tous les états d’âme entre brutalité et incompréhension. Dans la lecture de la lettre de Geneviève, Sophie Koch préfère l’intimité à la démonstration, alors que l’Yniold de Charlotte Bozzi, par la pureté de son chant et sa présence très naturelle, distille la fraîcheur innocente de l’enfant.

La direction transparente et souple du chef slovaque Juraj Valčuha constitue enfin un atout indéniable, d’autant que l’Orchestre de la Suisse romande, aux sonorités fondues et aux couleurs irisées lors des interludes, laisse s’exprimer les voix avec fluidité et ductilité sans jamais forcer le ton. Une réalisation venue d’une autre galaxie et d’une belle unité d’ensemble qui force l’admiration.