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| CRITIQUES DE CONCERTS |
11 novembre 2025 |
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Nouvelle production de L’Écume des jours de Denisov dans une mise en scène d’Anna Smolar et sous la direction de Bassem Akiki à l’Opéra de Lille.
L’écume sans la vague
Quelques éclats de beauté, des images qui effleurent… mais la vague n’a pas soulevé l’écume. Malgré l’élégance du plateau et le souffle de Bassem Akiki, la poésie de Boris Vian se dissout trop vite à l’Opéra de Lille, et l’opéra de Denisov, qui fêtera l’an prochain les quarante ans de sa création à l’Opéra-Comique, peine à trouver sa nécessité.
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L’écume sans la vague
Damnée damnation
Iphigénie au cœur de l’orchestre
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Presque quarante ans après sa création, L’Écume des jours retrouve enfin une scène française. L’événement éveillait la curiosité : s’agissait-il d’un trésor injustement oublié ou d’une pièce mineure que le temps avait, à raison, laissée dormir ? Le doute se lève assez vite. Denisov s’empare du roman de Boris Vian avec une fidélité sincère, mais la prose de Vian, si vive, si joueuse, s’acclimate mal au chant.
Sa langue, libre et désinvolte, perd en légèreté et s’alourdit dès qu’elle doit se poser sur la voix. Le compositeur tente de compenser par un polystylisme très années 1980 : jazz façon Duke Ellington, échos wagnériens, élans liturgiques, modernité atonale… Tout y est, parfois tout à la fois. Audacieux en son temps, l’assemblage sonne aujourd’hui daté et rarement émouvant.
Anna Smolar, pour sa part, cherche la poésie ailleurs : dans le regard de Chloé, qu’elle place au centre du récit, et dans une scénographie d’Anna Met qui mêle dépouillement et surréalisme, avec des touches crues liées à la maladie. Quelques idées fonctionnent – une magie scénique discrète, des surgissements imaginaires, des respirations chorégraphiques qui savent suspendre le temps. L’intelligence théâtrale est là , la délicatesse aussi. Mais l’ensemble reste trop monochrome. Le rythme se délite, la tension dramatique se dissout, et l’esthétique gris-bleutée, mélancolique, presque clinique, finit par niveler les scènes. Une poésie qui s’effiloche, faute d’élan.
La distribution s’investit avec sérieux, mais l’écriture vocale, angulaire et peu gratifiante, bride l’épanouissement. Josefin Feiler (Chloé) possède l’aura et la présence : dommage que la partition lui retire presque toute ligne de chant au dernier acte, là où sa voix aurait pu porter l’émotion. Cameron Becker (Colin) chante avec franchise et précision, mais demeure corseté dans une expressivité étriquée par la musique.
Katia Ledoux (Alise) apporte une chair et de vrais éclats ; Elmar Gilbertsson (Chick), affûté mais monochrome, semble payé de retour par un rôle mal servi. Edwin Crossley-Mercer (Nicolas) signe la prestation la plus aboutie, avec une diction exemplaire et un relief précieux. Les seconds rôles, peu sollicités, assurent avec probité.
À la tête de l’Orchestre national de Lille, Bassem Akiki défend la partition avec conviction. Battue souple, attention aux équilibres, soin des timbres : il évite l’écueil du collage indigeste et révèle l’art des couleurs de Denisov. On admire le travail, l’engagement, la rigueur… davantage qu’on ne ressent un frisson. L’effort est palpable, la flamme, elle, reste timide. On sort avec la sensation d’une œuvre honorablement servie, mais que ni la scène ni la fosse n’ont réussi à ranimer pleinement. À défaut de vague, une écume jolie, fragile, et vite retombée.
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Opéra, Lille Le 05/11/2025 David VERDIER |
 | | Nouvelle production de L’Écume des jours de Denisov dans une mise en scène d’Anna Smolar et sous la direction de Bassem Akiki à l’Opéra de Lille. | Edison Denisov (1929-1996)
L’Écume des jours, opéra en trois actes (1986)
Livret du compositeur d’après le roman éponyme de Boris Vian.
Chœur de l’Opéra de Lille
Orchestre National de Lille
mise en scène : Anna Smolar
direction : Bassem Akiki
décors : Anna Met
costumes : Julia Kornacka
éclairages : Felice Ross
chorégraphie : Paweł Sakowicz
vidéo : Natan Berkowicz
Avec : Josefin Feiler (Chloé / Le Chat), Cameron Becker (Colin), Katia Ledoux (Alise), Elmar Gilbertsson (Chick), Edwin Crossley-Mercer (Nicolas), Natasha Te Rupe Wilson (Isis), Robin Neck (Pégase / Le Prêtre / Le Sénéchal), Maurel Endong (Jésus / Le Directeur), Matthieu Lécroart (Coriolan / Prof. Mangemanche), Małgorzata Gorol (La Souris). |  |
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