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| CRITIQUES DE CONCERTS |
18 novembre 2025 |
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Récital Beethoven du pianiste Jonathan Biss dans le cadre de Jeanine Roze Production au Théâtre des Champs-Élysées, Paris.
La radicalité faite piano
Dans le cadre des concerts produits par Jeanine Roze désormais restreints à quelques soirées, le pianiste américain Jonathan Biss joue au Théâtre des Champs-Élysées les trois dernières sonates de Beethoven avec un engagement impressionnant, tant dans son expression sans aménité parfois matinée de rudesse que dans une introspection vertigineuse.
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Dès les premières notes de la Sonate op. 109, Jonathan Biss empoigne le texte avec une concentration à la mesure de l’étrangeté de ce premier mouvement qui alterne à l’envi les tempi. Ayant pris la mesure de l’acoustique de la salle, le pianiste resserre le discours, ce qui le tend un peu plus. Une impression renforcée par l’attitude de l’artiste au clavier : il souffle, grogne de manière fort audible donnant l’image d’une improvisation.
En tout cas, aucun maniérisme dans ce jeu mais une éloquence à l’apparente spontanéité alors que tout reste agencé avec une minutie admirable. Le Prestissimo sonne sans doute un peu raide pour certaines oreilles, tant Biss n’hésite pas à marteler certains éléments. Du troisième mouvement, le pianiste n’exhale pas tant la beauté de son thème qu’il en souligne les transformations au fil des variations, à moins que cela soit sa résilience, on ne sait, rendant par là même tout l’entre-deux, toute l’ambiguïté du discours.
Dans l’Opus 110, Beethoven pousse encore l’introspection plus loin et avec une liberté sans limite apparente. Biss tient son Moderato cantabile. Il chante mais sans jamais s’épancher et en gardant une réserve inquiète. Du très bref Allegro molto, il fait un intermède fantasque qui amène au troisième et dernier mouvement, l’un des plus complexes de son auteur.
La répétition du la devient très progressivement douloureuse jusqu’à l’insoutenable, le pianiste bandant les phrases tout en veillant au dépouillement du thème jusqu’à son anéantissement. Dans les éléments fugués, il impressionne par une articulation ciselée et une capacité à rendre la polyphonie d’une grande limpidité. Des nuances rythmiques d’une grande subtilité rendent le retour de la fugue inversée à la fois triomphal et recueilli.
Après l’entracte, bien nécessaire pour se remettre de ce combat entre désespérance et élan vers la vie, le pianiste attaque avec rudesse le Maestoso de la dernière sonate, l’Opus 111, en en accusant la force dynamique. Le contrepoint devient vertigineux et l’expression confine à la rage. Ce contraste assumé avec le mouvement qui va suivre force sans doute la nature conflictuelle de cet adieu de Beethoven au monde de la sonate.
L’Arietta n’appelle en revanche pas de réserve. La rigueur du jeu de Biss s’y déploie à mesure des variations dans un mélange indicible de simplicité et de densité, entre méditation et exaltation. La grande sévérité du discours s’évanouit avec l’arrivée des trilles réalisés de manière surnaturelle, qui résonnent comme une musique des sphères. Après la dernière note, le silence conservé par le pianiste retient longuement l’émotion intense suscitée par cette lecture exigeante.
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Théâtre des Champs-Élysées, Paris Le 04/11/2025 Thomas DESCHAMPS |
 | | Récital Beethoven du pianiste Jonathan Biss dans le cadre de Jeanine Roze Production au Théâtre des Champs-Élysées, Paris. | Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Sonate pour piano n° 30 en mi majeur, op. 109 (1820)
Sonate pour piano n° 31 en lab majeur, op. 110 (1821)
Sonate pour piano n° 32 en ut mineur, op. 111 (1822)
Jonathan Biss, piano |  |
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