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| CRITIQUES DE CONCERTS |
01 décembre 2025 |
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Concert de l’Orchestre de Paris sous la direction de Esa-Pekka Salonen à la Philharmonie de Paris.
Cris et chuchotements
Le deuxième programme d’Esa-Pekka Salonen avec l’Orchestre de Paris associe de manière foudroyante le Requiem de Ligeti à la Symphonie n° 4 de Bruckner. Le premier, d’une tenue extraordinaire, s’approche d’une expérience de non-retour, tandis que la seconde peut désarçonner par une dispersion analytique qu’on pourrait qualifier d’antiromantique.
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Cris et chuchotements
La Walkyrie enfumée
Miniature et démesure
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Comment rendre compte de l’effet du Requiem de Ligeti sur l’auditoire de ce concert ? Car il s’agit d’une expérience toute différente de celle de l’écoute au disque ou à la radio. Aucun médium ne peut transmettre l’ambitus dynamique et la richesse harmonique de ce chef-d’œuvre, sans parler du voyage émotionnel qu’il induit. Les grandes plages immobiles de l’Introïtus instaurent un climat concentré où l’on glisse de l’extrême grave aux limites de l’audible dans l’aigu. Un des secrets de cette pièce réside dans l’habilité de Ligeti à nous prendre par la main sans jamais nous lâcher.
Avec la direction fluide de Salonen, la fascination sonore séduit pour mieux nous emmener ensuite dans les tréfonds abyssaux qui vont suivre. Avec le Kyrie, la polyphonie s’anime tout en se fragmentant de manière inouïe. Cinq groupes vocaux évoluent à des vitesses différentes. Le travail acharné du Chœur de l’Orchestre de Paris paie, avec un rendu époustouflant, tandis que les vingt chanteurs du New London Chamber Choir sont d’autant de vigies dans ces pages complexes.
Le De die judicii sequentia est le cœur sanglant de cette messe noire qui va jusqu’au hurlement primal. Salonen déchaîne ses forces, y compris les deux chanteuses, d’une bravoure insensée. Le cri de la soprano Jennifer France crucifie l’espace sonore de la salle Pierre Boulez. Le Lacrimosa semble d’abord récapituler les souffrances. Sans le chœur, les deux solistes et l’orchestre a minima dans un chuchotement gradué offrent l’image sonore de l’anéantissement et du vide.
Sans doute parce que, selon la formule de Stig Dagerman, notre besoin de consolation est impossible à rassasier, la Quatrième Symphonie de Bruckner donnée en deuxième partie nous a-t-elle paru après cette expérience comme l’antithèse de son sous-titre « Romantique ». Salonen accuse les contrastes de son premier mouvement, alternant plages immobiles voire ralenties et épisodes tumultueux et précipités. Ce stop and go communique une impression d’instabilité et de fragmentation. Son dramatisme que l’on comprend en écho du Requiem sonne extérieur.
L’Andante qui suit se décompose sinon se déconstruit. De manière étonnante, Salonen demande aux cordes de restreindre le vibrato, au point que l’on se demande si Roger Norrington n’est pas revenu d’entre les morts. Les couleurs restreintes frisent la désolation. Si l’aspect populaire du Trio du Scherzo touche, le Finale voit le retour des oppositions du début avant que la coda, menée de main de maître, réconcilie tout le monde. En définitive, le cor absolument sublime de Gabriel Dambricourt aura été notre consolation.
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Philharmonie, Paris Le 19/11/2025 Thomas DESCHAMPS |
 | | Concert de l’Orchestre de Paris sous la direction de Esa-Pekka Salonen à la Philharmonie de Paris. | György Ligeti (1923-2006)
Requiem, pour soprano, mezzo-soprano, deux chœurs mixtes et orchestre (1963-1965)
Jennifer France, soprano
Virpi Räsänen, mezzo-soprano
Chœur de l’Orchestre de Paris
New London Chamber Choir
Anton Bruckner (1824-1896)
Symphonie n° 4 en mib majeur « Romantique »
Version de 1878-1880
Orchestre de Paris
direction : Esa-Pekka Salonen |  |
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