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CRITIQUES DE CONCERTS |
18 septembre 2024 |
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Bo Skovhus en récital, c'est encore du théâtre, tant le geste, l'attitude et le jeu sont ceux d'un homme de scène, mais la scène en sa stricte qualité d'espace ouvert à toutes les métamorphoses, et tout en lui est là pour le rappeler. Le programme est habilement conçu pour servir la vaillance (largement dominante) de la voix, et une énergie qui sait se faire douce et céder à la caresse.
Des aigus un peu voilés ? À moins que ce ne soit cette légère " fêlure " qui relève d'une panoplie d'expressions très étudiées dont le baryton danois use sans modération.
Mise en voix avec quatre Lieder pleins de larmes de Schumann, tirés du Wilhelm Meister de Goethe : timbre de velours, aucun pathos, juste un sentiment d'affliction. Avec Schoenberg, Skovhus s'engage sur un terrain visiblement moins fréquenté, mais tous risques calculés. Les Lieder sur les poèmes de Robert Dhelmel se situent à la frontière de l'allégeance encore sensible de Schoenberg à Brahms, à Wolf, à un certain Wagner aussi, et de la ligne de non retour que sera l'affranchissement définitif de la tonalité.
Franchement, on se passionne peu pour les revendications sociales d'un harpiste, l'étrange dialogue entre le Christ et Marie-Madeleine (Schenk mir deinen goldenen Kamm), ou les sévères mises en garde contre l'infidélité conjugale (Warnung). Qu'importe, le bonheur est à portée de tympan.
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Schubert d'abord. Un Schubert de dix-huit ans, qui emprunte à Schiller une longue ballade en forme de mélodrame, Die Bürgschaft (La Caution) : un homme, condamné à mort pour rébellion au tyran d'une cité inconnue, obtient de celui-ci que son meilleur ami soit laissé en gage à sa place
le temps d'aller marier sa soeur. Trois jours, pas un de plus, après quoi l'ami sera exécuté.
Mais sur le chemin du retour, l'orage se déchaîne, des brigands attaquent (il les tue tous !), et lorsqu'il parvient enfin aux portes de la ville, il voit le bourreau prêt à mettre en oeuvre sa sinistre besogne. " Si mon ami doit mourir, que je meurs avec lui ! " s'écrie-t-il. Saisi par tant de grandeur, le tyran s'incline et pardonne.
Là , Bo Skovhus laisse son auditoire sur le souffle. Moins soucieux du beau son que de la progression du récit, il incarne la dynamique de l'action et tous les personnages à la fois. Il se désole, il ferraille, il rugit, sort le grand jeu et emporte l'adhésion.
Le calme revient avec les Rückert-Lieder de Mahler. Désormais la fièvre est ailleurs, toute entière dans la voix mise à nue, sans le moindre artifice, seulement soumise aux inflexions des mots qui disent la nostalgie des parfums d'antan, la contemplation de la beauté plus forte que l'amour, et la peur de l'amour, mais surtout l'hypnotique Ich bin der Welt abhanden gekommen (J'ai pris congé du monde), chanté comme suspendu, et Mitternacht (A minuit), comme l'impossible accès aux mystères de la nuit : une manière élégante de tirer sa révérence.
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Théatre du Châtelet, Paris Le 29/05/2001 Françoise MALETTRA |
| Récital du baryton Bo Skovhus au Théâtre du Châtelet. | Schumann
Quatre Lieder d'après Goethe(l849), tirés de Wilhelm Meister
Ballade des Harfners (ballade du harpiste) – Wer sich der Einsamkeit ergibt (Qui se donne la solitude) – An die Türen will ich schleichen (Je m'en irai vers les portes) – Wer nie sein Brot mit Tränen (Qui n'a trempé son pain dans les larmes).
Schoenberg
Cinq Lieder d'après Richard Dehmel
Alles (Tout) – Warnung (Avertissement) – Erwartung (Attente) – Schenk mir einen goldenen Kamm (Les requêtes de Jésus) – Erhebung (Elévation)
Deux Lieder d'après Karl von Levetzow
Dank (Remerciement) – Abschied (Adieu)
Schubert
Die Bürgschaft (La Caution), ballade d'après Schiller
Gustav Mahler
RĂĽckert-Lieder
Ich atmet' einen linden Duft (Je respirai un doux parfum) - Liebst du um Schönheit (Si tu aimes la beauté) – Blicke mir nicht in die Lieder (Ne regarde pas mes chants) – Ich bin der Welt abhanden gekommen (J'ai pris congé du monde) – Um Mitternacht (A minuit)
Bo Skovhus, baryton
Helmut Deutsch, piano | |
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