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CRITIQUES DE CONCERTS 05 octobre 2024

Hommages à Ligeti et Kurtag à la Maison de Radio-France.

Ligeti et Kurtag avec les moustaches de la Joconde
© Harmonia Mundi

Le pianiste Florent Boffard.

Samedi dernier, Radio-France faisait fête à deux compositeurs clés de la création contemporaine : Ligeti et Kurtag. Pour allumer les bougies, les pianistes Pierre-Laurent Aimard et Florent Boffard épaulés des percussionnistes Michel Cerutti et Daniel Ciampolini ont déballé un impressionnant instrumentarium.
 

Salle Olivier Messiaen - Maison de la Radio, Paris
Le 09/06/2001
Françoise MALETTRA
 



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  • Sur scène, un pianino à super sourdine, un cymbalum, une débauche de cloches, un vibraphone, des marimbas et quatre métronomes vivants pour les dompter. On attaque d'entrée avec Cloches III de Donatoni, une courte pièce, ciselée dans le matériau brut des bois, des peaux et des métaux, qui semble avoir accordé toutes ses chances d'intervention au hasard dans le processus de l'écriture.


    Les deux pianos frappent en accords secs, frôlent les percussions avec la volubilité d'un mouvement perpétuel, jusqu'à l'entrée des cloches qui les contient dans un jeu fascinant d'échos, et les fait imperceptiblement converger vers la fusion parfaite des timbres. Les partitions jonchent le sol, Pierre-Laurent Aimard s'adresse au public pour annoncer que les cloches reviendront en fin de programme, moins discrètes, franchement spectaculaires, dans l'oeuvre de Schoeller.

    En attendant, Hommage à Kurtag, avec un " aménagement de pièces brèves " placées sous le signe du cymbalum (hongrie oblige), du piano à deux ou quatre mains, et du piano : 17 miniatures, songeuses et intenses, à la limite du silence, comme des fragments de mémoire ressurgi, où passent une petite valse, le souvenir des amis disparus (György Sebok, Anatol Vieru), des anniversaires (Andras Hajdu, Alfred Schlee), des dédicaces (à Marta Fabian, à Christian Wolff), une mystérieuse petite phrase déclinée en 7 tons sur les touches blanches : " L'homme est une fleur
     "
    De la poésie brute.

    " J'aime la timidité de Kurtag " écrit Ligeti, " son attitude introvertie, son absence totale de vanité ou de présomption, et la complexité de son apparente simplicité. " Enchaînement providentiel et retour de politesse : Hommage à Ligeti pour la pochette surprise de la soirée. L'idée est de faire la fête au compositeur en convoquant des musiques et des musiciens avec lesquels il a partagé, à divers moments de sa vie, le même intérêt pour les polyrythmies et les transformations du matériau sonore.

    Steve Reich et son célèbre Clapping music: quatre minutes minimalistes pour huit mains, claquant sur des rythmes diaboliquement contrariés. Irresistible ! Un drôle de petit poème de chambre (anonyme, mais personne ne s'y trompe, Ligeti y avait déjà pensé) : une même note pour huit doigts, jouée dans des tempi différents. Une merveille d'ostinato à vous vriller les nerfs, mais de l'horlogerie fine.


    La matière est sacrée, le silence est sacré

    Deux études de Colon Nancarrow, composées sur son instrument fétiche, le piano mécanique, mais arrangées pour deux pianos " normaux " : deux exercices de style sur cartons perforés, qui creusent la texture du son et troublent sans arrêt le tempo. Aucun répit pour les interprètes. Et Ligeti, bien sûr : Fèm, un joyeux combat à la loyale entre le piano et la percussion, Fanfares, une étude psychédélique pour piano et vibraphone, d'une virtuosité délirante, affolante.

    En prime, Ligeti offrait au petit groupe un Canon d'une telle science contrapuntique dans ses jeux de vitesse que la perception en était complètement déstabilisée. L'objectif était atteint. Les grincheux parleront d'irrespect. Mais attention, la musique contemporaine n'est jamais aussi sérieuse que lorsqu'elle décide de s'amuser un peu. Après tout, il n'y a pas qu'à la Joconde qu'il est permis de mettre une paire de moustaches !

    Sur le plateau, le dispositif s'élargit et l'on découvre les puissantes cloches Grassmayr promises pour la création de Cosmos de Philippe Schoeller et surplombant les claves, le xylophone, les carillons, les cloches à vache, et les deux pianos face à face. " La matière est sacrée, le silence est sacré ", proclame le compositeur. On comprend que le silence se mérite pour une telle partition dédiée à Tenzin Gyatso, XIVe Dalaï-Lama en exil du Tibet, et suscitée par Thomas Grassmayr, homme de grande spiritualité et accessoirement directeur de la fonderie du même nom.

    " J'avais souhaité que Cosmos soit le prélude à un concert spirituel dont la cloche serait le symbole universel, mais sans ostentation, sans monumentalité." Et il est juste de dire que l'on assiste moins à un cérémonial qu'à une tentative de libération des énergies en fusion dans chacun des instruments, s'organisant et progressant dans un flux continu de tension et de détente, vers une sonorité de " cloche en soi ", jusqu'au final où les deux Grassmayr sonnent et résonnent dans une coda théâtrale et somptueuse. Formidable performance pour quatre garçons décidément portés par le vent de la modernité.




    Salle Olivier Messiaen - Maison de la Radio, Paris
    Le 09/06/2001
    Françoise MALETTRA

    Hommages à Ligeti et Kurtag à la Maison de Radio-France.
    Franco Donatoni (1927-2000)
    Cloches III pour 2 pianos et percussions

    Hommage à György Kurtag (1926)
    Eclats 1,2,3 pour cymbalum
    In memoriam György Sebok pour piano à 4 mains
    Valse de Jànos Pilinsky pour deux pianos
    Päan, pour Agathe et Gerhard pour piano

    et encore des mots pour Anatol
    En mémoire d'Anatol Vieru
    pour pianino
    Face à Face, in memoriam Jànos Demeny pour piano
    Hommage à Ferenc Besényl pour pianino
    Versetto : Dixit Dominus ad Noe
    pour piano
    Hommage à Hanny Brunner-Pohl pour pianino
    Sirènes du déluge (en attendant Noë) pour piano
    L'homme est une fleur pour pianin
    Dialogue pour le 70e anniversaire d'Andras Mihaly, ou comment répondre aux quatre mêmes sons avec trois seulement pour piano et pianino
    Antiphonie en fa dièse pour piano et pianino
    Hommage à Christian Wolff (dans un demi-sommeil) pour piano et cymbalum
    Andras Hajdu a 60 ans pour piano, pianino et cymbalum
    Aus der ferne, pour le 80e anniversaire d'Alfred Schlee pour piano et cymbalum

    Hommage à György Ligeti (1923)
    Ligeti : Canon (création française) pour piano
    Steve Reich (1936) : Clapping musicpour 2 exécutants
    Ligeti: Fém (Etude n° 8 pour piano, version ludique et irrespectueuse pour piano et percussion)
    Colon Nancarrow (1912-1997) : Etudes n° 4 et n° 1 pour player piano (arrangées pour 2 pianos)
    Anonyme : Petit poème de chambre pour huit métronomes humains (d'après le Poème symphonique pour cent métronomes de Ligeti)
    Ligeti : Fanfares (Etude n° 4 pour piano, version barocco-psychédélique pour piano et vibraphone)

    Philippe Schoeller(l957
    Cosmos pour deux pianos et percussions (1997) (création française)

    Pierre-Laurent Aimard et Florent Boffard, pianos
    Michel Cerutti et Daniel Ciampolini, percussions

     


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