|
|
CRITIQUES DE CONCERTS |
11 décembre 2024 |
|
Deuxième semaine du 38e festival de musique ancienne de Bruges.
Festin de claviers à Bruges
Une image insolite du festival de Bruges : Gustav Leonhardt plié en deux pour accorder son clavecin dans un grand vacarme à l'entracte de son récital.
Cette année, impossible de trouver densité supérieure de claviers anciens au mètre carré qu'à Bruges. En effet, ce haut-lieu touristique des Flandres accueille tous les 3 ans le plus prestigieux concours de clavecin au monde ; le tout relevé d'un concours de pianoforte, d'un salon d'instruments et d'une programmation de concerts nourrie.
|
Festival de musique ancienne, Bruges
Le 11/08/2001
Eric SEBBAG
|
|
|
|
Triomphe du libertin
Le renoncement de Barbe-Bleue
Frénésie de la danse
[ Tous les concerts ]
|
Dans le temps des concours de claviers et des concerts, le festival accueille donc un salon réunissant plus de cinquante facteurs de claviers à l'ancienne, soit une bonne centaine d'instruments exposés pour une profusion sans équivalent ailleurs.
La diversité était naturellement de mise, mais sans excès, sinon pour un clavecin bleu électrique dont la couleur inhabituelle fatigue déjà avant l'émission du premier son (d'ailleurs anémique). Sur l'ensemble, la suprématie usuelle des clavecins de type français XVIIIe à deux claviers paraissait nettement contestée par les modèles allemands (type Mietke, Zell), des instruments pour jouer Bach qui ne détonnent cependant ni dans Scarlatti, ni dans Couperin.
Parmi les instruments les plus fascinants, j'ai retenu un clavecin XVIIe français (d'après un anonyme du musée de Boston) réalisé par Malcom Rose. Surtout connu pour les cordes qu'il commercialise de par le monde, le facteur anglais avait justement pris l'initiative de corder l'instrument tout en laiton et cuivre, d'où une couleur exceptionnellement pleine et précisément cuivrée.
| | |
Face à la prolifération envahissante des clavecins, les pianofortes se font encore timides ; ce qui s'explique par une technicité de facture sensiblement plus élevée. Mais pour les épreuves finales du concours pianoforte, l'auditoire a été en mesure d'apprécier les instruments choisis par les compétiteurs eux-mêmes, notamment les pianofortes Maene.
S'il n'y a aujourd'hui que peu à attendre des grands concours de piano et violon qui semblent, pour l'essentiel, n'engendrer que des athlètes sans âme, le concours de Bruges, avare de ses premiers prix, a souvent révélé des personnalités atypiques et originales ; entre autres Ton Koopman, Scott Ross, Christophe Rousset ou Pierre Hantaï.
Pas pour cette édition cependant, car en clavecin, le niveau était assez petit. La Française Isabelle Sauveur ne remporte qu'un troisième prix faute de posséder d'autres qualités qu'une élocution claire et de l'énergie à revendre. Pour elle, le chemin vers cette victoire défective fut pavé de fausses notes et surtout grevé de peu d'imagination.
En pianoforte, l'Australien Kris Bezuidenhout a montré une autre envergure où le bagage du technicien ne brimait pas l'éloquence ni la versatilité de l'inspiration ; le tout fut distingué d'un premier prix que l'on n'aurait pu lui chicaner que pour le choix d'un instrument un peu chétif en regard du Maene d'après Walter utilisé par un autre compétiteur.
| | |
Une programmation chagrine
Parallèlement aux concours et salon, le festival connaît une série de concerts de musique ancienne. Mais excepté le récital de Gustav Leonhardt, qui présidait comme chaque année le concours de clavecin, la dernière semaine de la programmation fut assez décevante cette année.
Assez faible dans son rôle d'accompagnateur des finalistes des épreuves de clavecin (justesse vagabonde et cohésion aléatoire), l'Ensemble Florilegium n'a pas mieux brillé (avec pourtant des musiciens différents) dans un programme exclusivement dédié à Telemann. Imitant une énergie brute à la Musica Antiqua de Köln, il n'en avait cependant ni l'homogénéité, ni la rigueur pour oeuvrer en ce sens.
L'ensemble William Byrd de Graham O'Reilly n'a pas fait mieux dans un programme consacré à l'Allemagne du XVIIe siècle de Froberger, Tunder, Hammerschmidt, Buxtehude et Schütz. Empêtrée dans une redoutable inertie rythmique, la distribution vocale fâchée avec la langue de Luther s'est laissée doucement glisser dans un paysage morne où l'immobilisme se voulait recueillement.
Autre déconvenue avec l'ensemble Il Giardinello emmené par l'un des hauboïstes les plus appréciés du circuit baroque, Marcel Ponseele. Si sa propre prestation dans le Concerto en la majeur pour hautbois d'amour de Telemann était à la hauteur de la superbe dont il est coutumier, les deux Magnificats de Bach et Graupner étaient constamment flétris par un orchestre, des choeurs et surtout un plateau vocal d'un niveau de seconde année de conservatoire municipal.
| | |
Aux concerts du matin, le pire était offert avec largesse par le duo de clavecins réunissant Johan Huys et Guy Penson. Doué d'une redoutable propension à confondre son instrument avec un engin à percussion, le premier a engagé son acolyte dans une exécution proprement militaire du sixième Brandebourgeois de Bach.
Heureusement, les sopranos Valérie Gabail et Johannette Zomer ont montré l'avant-veille des qualités autrement captivantes (justesse, souplesse, équilibre en duo et sens dramatique), pour une inattendue confrontation entre Haendel et Brahms, en compagnie du pianiste Jan Michiels. Dommage que ces fraîches haendéliennes ne semblaient pas encore posséder l'indispensable agilité pour ce répertoire où la voltige est maîtresse, sinon toujours reine.
La veille, le ténor finlandais Topi Lehtipuu s'est révélé un chanteur de lied très prometteur. Avec un timbre et une diction qui devrait faire de lui l'un des grands évangélistes de demain, dans la lignée d'un Prégardien, il a donné des lieders rares de CPE Bach, Neefe et de stupéfiantes compositions de Beethoven sur des textes de Gœthe. Probablement par faute de l'heure matinale, le ténor aura cependant connu un embarras réitéré avec ses aigus.
Le récital de Leonhardt sera donc resté le moment fort de cette deuxième et dernière semaine du festival de Bruges. Le public s'y est d'ailleurs donné rendez-vous en cohortes des plus denses. Décidément imperméable à l'injure des années, le maître hollandais s'est livré à une défense et illustration irréfutable d'un clavecin d'après Taskin du facteur belge Ivan de Halleux. Le rutilant instrument cinabre lui a rendu ses compliments en se pliant avec une égale docilité au voyage dans un répertoire aussi européen que bigarré. Le véritable festin était ici.
| | |
|
Festival de musique ancienne, Bruges Le 11/08/2001 Eric SEBBAG |
| Deuxième semaine du 38e festival de musique ancienne de Bruges. | 7 août, Église St-Anna
Récital de clavecin par Gustav Leonhardt
Œuvres de Dumont, Louis Couperin, Reincken, Böhm, d'Anglebert, W.F. Bach, Blasco de Nebra et Scarlatti
8 août, Église St-Anna
Ensemble Florilegium London
Musique de Chambre de Georg Philipp Telemann
9 août, Église Ryeland
Récital Topi Lethipuu (ténor)
Lieders de CPE Bach, Neefe et Beethoven
9 août
Finale des concours de clavecin et pianoforte
Lauréats : Isabelle Sauveur, France (3e prix de clavecin), Kris Bezuidenhout, Australie (1e prix de pianoforte)
10 août, Église Ryeland
Johannette Zomer et Valérie Gabail (sopranos), Jan Michiels (piano steinway)
Œuvres de Haendel arrangées par Brahms, variations et fugue sur un thème de Haendel op.24 de Brahms
10 août, Église St-Jacob
Ensemble William Byrd Paris, Graham O'Reilly
Chefs-d'oeuvre allemands du XVIIe siècle, oeuvres de Froberger, Tunder, Hammerschmidt, Buxtehude et Schütz.
11 août, Église Ryeland
Johan Huys er Guy Penson (clavecins)
Duos de J.C., C.P.E., W.F. et JS Bach.
11 août, Église St-Jacob
Magnificat de Graupner, Concerto pour hautbois d'amour de Telemann Magnificat de J.-S. Bach.
Oslo Baroque Soloists
Orchestre Baroque Il Gardellino
Marcel Ponseele, hautbois et direction | |
| |
| | |
|