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CRITIQUES DE CONCERTS |
11 décembre 2024 |
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Reprise de La Bohème de Giacomo Puccini à l'Opéra de Paris.
SĂ©ance de gymnastique
lyrique Ă Bastille
© Eric Mahoudeau
C'est décidément le temps des reprises à l'Opéra de Paris. Après Wozzeck, le Nain, Billy Budd ou la petite Fille aux allumettes, voici le plus parisien des opéras de Puccini. Mais avec le couple Alagna-Gheorghiu en vedette, les candidats pour un retour à la vie de Bohème se pressaient en cohortes serrées à Bastille.
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On a dit dans ces colonnes la gratuité de la transposition chronologique de cette mise en scène de La Bohème signée Jonathan Miller. Mais, après qu'Angela Gheorghiu ait confessé au quotidien anglais Daily Telegraph que, avant une représentation, elle ne reculait pas devant une séance de gymnastique biblique avec son Roberto de mari (1), pour se détendre, on se doute que le public s'est pressé si nombreux d'abord pour ouïr le couple vedette.
Allaient-ils se frôler du legato, se caresser des cordes vocales, s'étreindre du contre-ut et autres postures lascives voire impudiques ? Oui bien sûr, et même plus encore.
Et tant mieux si cela constitue le principal ressort du spectacle, car Roberto Alagna ne brille pas d'un talent d'acteur inné : il marche souvent comme s'il portait une charge de ciment invisible et n'hésite pas à deviser par mimiques interposées avec son épouse sur la scène. Lui rappelle-t-il qu'elle a oublié d'acheter des toasts pour le petit-déjeuner ? On compte sur la presse spécialisée pour décrypter.
En tant qu'actrice, Madame Alagna possède un plus haut potentiel que son conjoint. Mais ici, la direction d'acteur ne l'aide pas. Dans le premier tableau, elle semble mimer son rôle comme les acteurs de cinéma du muet qui se mettent la main au front, ou font de grands gestes pour mieux souligner leurs sentiments. Ailleurs, elle chante de longues minutes plantée comme une marionnette sans fils.
Au disque le couple Alagna a signé l'une des récentes versions de référence de cette Bohème, avec la complicité inspirée du chef Riccardo Chailly. À cette aune, on risque à Bastille quelques chagrins, mais pas tant par la faute du plateau vocal, dans l'ensemble sans faiblesse, que d'une voix essentielle qui ne tient pas son rôle, celle de l'Orchestre.
Dans Puccini mieux qu'aucun compositeur dit " vériste ", la partie orchestrale à la fois porte, répond, enveloppe, et colore les voix en les doublant. Ici, le chef Daniel Oren connaît certes son métier, mais il prépare les notes aiguës des chanteurs comme on tend un filet à qui doit sauteur du 5e étage, joue au plus simple quant à la recherche des couleurs et manque complètement l'éclat du deuxième tableau ; sans compter des décalages qui ne seront aplanis que bien tardivement.
Reste donc un plateau vocal au sein duquel on peut distinguer la vaillance des barytons Ludovic Tézier et Stéphane Degout ainsi que la justesse de caractère de la basse Erwin Schrott. Alagna lui aura mis vingt minutes à se chauffer, et s'il n'est pas au meilleur de sa forme, sa voix dorée et radieuse garde ce " sex-appeal " immédiat, qui a dû éveiller la pâmoison dans la salle, bien au-delà de sa seule moitié.
Si la Mimi de cette dernière est loin d'égaler dramatiquement l'incarnation de Leontina Vaduva sur cette même scène, Gheorghiu possède une technique plus sûre, un timbre très homogène qui se désunit à peine dans les notes les plus graves et des aigus toujours aussi chatoyants.
Donc, à la condition expresse de ne surtout pas avoir (ré)écouté l'enregistrement Chailly (Decca) juste avant la représentation, et de faire abstraction des importuns (Oren et Miller), venir entendre le duo Alagna-Gheorghiu en pleine séance de gymnastique est un bonheur simple qu'aucun spectateur d'art lyrique ne saurait se refuser.
Lire aussi l'avis de Françoise Malettra.
(1) Thierry Beauvert, dans son émission " Si j'ose dire " sur France Musiques s'en est ouvertement gaussé mardi dernier.
L'article original du Daily Telegraph est ici : " Oh la la, sex calm me down ".
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Opéra Bastille, Paris Le 07/11/2001 Eric SEBBAG |
| Reprise de La Bohème de Giacomo Puccini à l'Opéra de Paris. | Opéra en quatre tableaux
Livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Ilica
d'après le roman Scènes de la vie de Bohème de Henry Mürger
Orchestre et Choeurs de l'Opéra National de Paris
Maîtrise des Hauts-de-Seine
Choeurs d'enfants de l'Opéra National de Paris
Direction musicale : Daniel Oren
Mise en scène : Jonathan Miller
Décors : Dante Ferretti
Costumes : Gabriella Pescucci
Lumières : Guido Levi
Avec Angela Gheorghiu (Mimi), Roberto Alagna (Rodolpho), Elena Evseeva (Musetta), Ludovic Tézier (Marcello), Erwin Schrott (Colline), Stéphane Degout (Schaunard), Michel Trempont (Benoït), Christian Jean (Alcindoro), Gérard Noizet (Parpignol), Sergei Stilmachenko (Sergente dei Doganieri), Phillippe Madrange (Doganieri). | |
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