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CRITIQUES DE CONCERTS 27 avril 2024

Machinations de Georges Aperghis à l'Ircam.

Les machines à verbaliser
© Patricia Dietzi

Georges Aperghis (© Patricia Dietzi)

Ce mois-ci, l'Ircam redonnait Machinations de Georges Aperghis qu'elle avait créé en juin 2000 dans ses locaux parisiens. Le spectacle est si riche qu'il n'aura pas été inutile d'y jeter un nouvel œil et une paire de tympans grands ouverts, car ici, la musique n'est que Verbe et ne pose que des questions essentielles.
 

Espace de projection, IRCAM, Paris
Le 10/11/2001
Mathias HEIZMANN
 



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  • " Au début était le Verbe. Pourquoi Papa ? " Tarkovski, qu'on sait obsédé par ces questions identitaires, avait conclu son film Le sacrifice avec cette question prononcée par un enfant jusque-là privé de parole. Sortant d'une longue période d'aphasie, il ne peut que formuler la question la plus fondamentale qui soit, celle de l'origine.

    Avec tout l'humour dont on le sait capable, Georges Aperghis creuse finalement la même terre. Certes, il ne mêle aucune question religieuse et ne philosophe pas ouvertement. Il se contente, du moins en apparence, d'un jeu sur le langage et d'une déstructuration des mots par acteurs chanteurs ou les machines informatiques qui s'emparent de leurs voix. Il n'y aura donc d'autre musique que celle du Verbe.

    Il était une fois quatre femmes - remarquables interprètes - qui manipulent inlassablement le ferment supposé de la langue, cet agglomérat de phonèmes et de tressautement des glottes, tout ce fatras mécaniste qui peut faire croire que l'homme n'est qu'une machine bientôt imitée par le bambin du film Intelligence artificielle (de Spielberg). Quatre écrans vidéo, placés au-dessus d'elles, renvoient de multiples images plus ou moins chargées de symboles.

    L'homme est-il une simple machine à verbaliser ? Sans doute, car voilà déjà longtemps que la robotique tente de reproduire son modèle vivant. Imiter la vie pour mieux en percer les mystères et fabriquer, comme Vaucanson un vulgaire canard mécanique (1).

    Mais Aperghis est trop fin pour réduire l'homme à une ensemble de causes mécaniques. Probablement s'est-il souvenu du Prométhée enchaîné d'Eschyle : l'homme est devenu ce qu'il est parce que Prométhée lui a transmis une part du " prattein/poiein " (littéralement de " l'agir/créer ") qui était jusque-là possession exclusive des forces divines (2).

    Mais alors, quelle était sa situation antérieure ? Celle des ombres vides " semblables aux figures des rêves ", qui voyaient sans voir et sans tirer aucun profit, passaient leur longue vie sans aucun ordre, au hasard ? Ainsi, ils auraient vécu sous terre sans pouvoir distinguer l'hiver de l'été, faisaient tout sans réflexion, sans pensée, ignorant même l'idée de la Mort.

    Ce qu'Eschyle décrit, c'est finalement un homme en dehors de la parole et de la cité, c'est-à-dire un être qui ne ressemble à aucun animal puisqu'il sera difficile de trouver chez nos cousins à poil et à plumes une quelconque espèce dont on pourrait dire " qu'elle est semblable aux figures des rêves " ou " qu'elle voie sans voir ".

    Bref, ce qui distingue l'infans de l'homme, ce n'est évidemment pas ce qui distingue le caneton du canard. La grande affaire de l'homme, c'est évidemment la parole. Vaucanson tentait de comprendre le vivant par le mécanisme, Aperghis tente de comprendre l'homme par la langue, de préférence en la découpant en tranches et en lui faisant perdre tout sens !

    Car dans Machinations, la parole ne dit plus grand-chose. Même quand elle tente de revenir au rationnel (l'informaticien énumérant des instructions techniques, ou simplement la lecture des théories de Vaucanson), le sens se dissout. La Palisse l'aurait dit, on peut parler pour ne rien dire. Aperghis habille cette lapalissade comme si elle était énoncée (ou enfoncée) pour la première fois.

    Message ô combien lucide quand on considère à quelle vitesse la planète se tisse de nouveaux réseaux de communications, à commencer par celui qui porte ces lignes (3). Reste que la question initiale que Machinations ne dénoue certes pas, mais à laquelle il donne une ampleur absolument neuve : "Au début était le Verbe. Pourquoi papa ?"


    Lire aussi le compte-rendu de la création

    (1) ce créateur d'automates est d'ailleurs mis en scène à la fin du spectacle.
    (2) lire à ce propos le chapitre "Anthropogonie chez Eschyle et autocréation de l'homme chez Sophocle" de Cornelius Castoriadis, in Figures du Pensable, ed. Seuil.
    (3) au lecteur de juger si la lapalissade est applicable






    Espace de projection, IRCAM, Paris
    Le 10/11/2001
    Mathias HEIZMANN

    Machinations de Georges Aperghis à l'Ircam.
    Avec Sylvie Levesque, Donatienne Michel-Dansac, Sylvie Sacoun et Geneviève Strosser (voix)
    Olivier Pasquet (ordinateur)

     


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