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CRITIQUES DE CONCERTS |
14 octobre 2024 |
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Récital Schubert de Ian Bostridge, Théâtre du Châtelet, Paris.
Schubert à la loupe
Récital de Ian Bostridge au Théâtre du Châtelet. Dans un programme précieux donnant à entendre des rares lieder aussi précieux que des gemmes, le ténor anglais a une fois de plus fait démonstration d'un talent d'orfèvre presque maniaque, que certains ont détesté, d'autres admiré. Impossible en tout cas d'être indifférent.
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Théatre du Châtelet, Paris
Le 07/03/2002
Yutha TEP
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Ian Bostridge est bien sûr un chanteur parfaitement rompu au répertoire lyrique (il a enregistré Mozart avec William Chrisitie et Charles Mackerras, ou Stravinsky avec John Eliot Gardiner). Il s'est même essayé à Bach (Evangéliste de la Passion selon Saint Matthieu pour Herreweghe, des cantates avec Fabio Biondi et Europa Galante). Mais à regarder de plus près, on constate qu'il excelle avant tout dans une musique qui sollicite avant tout l'art de faire chanter – ou de ne pas faire chanter – les mots. Il n'est pas étonnant à cet égard de voir que ses grands succès les plus récents, au disque comme au concert, concernent ce répertoire. Il suffit de se référer au disque à son English Songsbook chez EMI, ou à sa participation au Jounal d'un disparu de Janacek dans la production signée Deborah Warner. Car Ian Bostridge, c'est avant tout cela : une attention maniaque au mot, une intelligence surchauffée qui charge chaque note d'une signification. Evidemment, on peut s'attendre à des réactions très diverses concernant un artiste qui, dans une certaine mesure et pour citer l'un de nos confrères, ferait paraître Dietrich Fischer-Diskau comme un homme simple
Cela est particulièrement vrai lorsqu'il s'agit d'un récital Schubert, où l'on est en droit d'aimer une certaine simplicité contrôlée. Signalons ici la sûreté de la sélection opérée par Ian Bostridge – sélection qui fait assurément l'unanimité, elle : un bouquet de raretés, dont une partie copieuse rappelle combien Schubert aimait Johann Mayrhofer, et dont on se demande bien pourquoi elles sont si rares, tant certains lieder se révèlent être des merveilles absolues, en particulier l'immense Viola D 786 précisément sur un poème de Mayrhofer. Goethe a droit à une triade plus connue des mélomanes, composée de Rastlose Liebe D 138, Geheimes D 719 et Versunken D 715.
La voix de Bostridge est belle, bien projetée sans être impressionnante, le timbre clair pouvant se parer brutalement et de manière surprenante de couleurs quasi-barytonales. L'intonation est suffisamment sûre pour que l'on oublie tout souci sur la justesse, et se concentrer sur les manières interprétatives – les maniérismes, d'aucuns corrigeront. Avouons pour notre part, une certaine fascination pour ce chanteur littéralement arc-bouté sur le piano de Julius Drake (lui-même totalement recroquevillé sur son clavier, comme soucieux de ne pas voir son partenaire – et pourtant quelle complicité, quelle entente !), comme s'il souhaitait faire peser tout son corps sur les mots qu'il assène ou susurre, trouvant à chaque lied son atmosphère (ou mêmes ses atmosphères) propre. L'art de Bostridge trouve de si nombreux accents que l'on est bien embarrassé de détailler ce panorama de l'âme schubertienne qu'il énonce devant un public médusé. Fondamentalement, il repose sur une manière unique de colorier chaque mot tout en l'intégrant dans une courbe mélodique à ce point travaillée que l'auditeur en a une vision quasi-matérielle. Si le ténor anglais consent parfois à une certaine sobriété des lignes – les trois Goethe le prouvent, c'est pour créer un plus grand contraste lorsque le conteur reprend les choses en main. Les amoureux d'un Schubert à l'immédiateté enthousiaste détesteront cette orfèvrerie musicale dont on voit bouger le moindre rouage. Mais on peut aussi l'apprécier, comme on admire une montre de grand prix.
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Théatre du Châtelet, Paris Le 07/03/2002 Yutha TEP |
| Récital Schubert de Ian Bostridge, Théâtre du Châtelet, Paris. | Ian Bostridge ténor
Julius Drake piano
Franz Schubert
Der Strom D 565 – Auf der Donau D 553 – Lied eines Schiffers an die Dioskuren D 360 – Nachtstück D 360 – Viola D 786 – Abendstern D 806 – Gondelfahrer D 808 – Auflösung D 807 – Widerschein D 949 – Alinde D 904 – Rastlose Liebe D 138 – Geheimes D 719 – Versunken D 715 – Der Winterabend D 938 – Die Sterne D 939 – Die Götter Griechenlands. | |
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