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CRITIQUES DE CONCERTS |
07 octobre 2024 |
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L'Art de la Fugue par Evgueni Koroliov, Théâtre des Champs-Elysées, Paris.
Une Fugue qui tourne mal
Ligeti déclara un jour que, s'il ne devait emporter qu'un seul disque sur une île déserte, il choisirait l'enregistrement d'Evgueni Koroliov de l'Art de la fugue et l'écouterait jusqu'à son dernier soupir. Comment se rendre dès lors au Théâtre des Champs-Elysées sans être convaincu qu'il faut avoir entendu Koroliov dans l'Art de Fugue avant de mourir ? Pourtant, tout ne va pas de soi.
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C'est un homme discret, presque effacé, qui entre sur scène. Ce qui, du reste, contraste agréablement avec le ton promotionnel du programme (ou de ce qui en tient lieu), lequel s'extasie longuement sur le jeu du pianiste, mais ne dit pas un mot sur ses choix interprétatifs. Quelques lignes auraient pourtant été bienvenues, tant l'exécution de l'Art de la fugue soulève d'interrogations, qu'il s'agisse de l'instrumentation, de l'ordre des contrepoints, ou du caractère inachevé de l'oeuvre.
A peine assis au piano, Koroliov entame donc le premier Contrapunctus. Suivent les 13 autres, entre lesquels viennent se placer les 4 canons, insérés respectivement après les 6e, 7e, 11e et 13e fugues. Au terme des 18 pièces de ce monument musical, il serait injuste de ne pas reconnaître au pianiste russe des moyens techniques impressionnants, une aisance et une sûreté dans le jeu qui ne laissent rien au hasard : chaque note, chaque son est admirablement maîtrisé, dans la force comme dans la retenue. L'articulation manque parfois de légèreté, notamment dans les rythmes pointés " à la française " du Contrapunctus VI, mais c'est bien la seule réserve que l'on puisse faire quant à la technique.
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Pour ce qui est du style, on ne peut en dire autant. Le discours musical n'est pas exempt de lyrisme, et les contrastes dynamiques viennent de temps à autre rappeler que le piano romantique n'est pas loin. Quant aux tempi, ils sont instables, parfois trop lents (dans le premier Contrapunctus, mais aussi à plusieurs reprises par la suite) ou au contraire précipités (le Canon à l'octave).
S'il s'en tient au strict contrepoint dans les fugues canoniques, le pianiste se plaît, dans les pièces à 4 voix et plus, à brouiller les pistes. Passée l'exposition du sujet, d'une clarté irréprochable, il malmène l'équilibre entre les lignes, privilégiant l'une d'entre elles, puis une autre. Par moment, il va jusqu'à traiter le contrepoint comme une succession d'accords. Voilà qui agace prodigieusement l'oreille, et prive de tout relief cette merveilleuse architecture sonore qu'est la fugue.
Et plus on avance dans le concert, plus cet Art de la fugue déconcerte. Koroliov navigue au gré de son inspiration, change sans cesse de couleur, d'expression, de phrasés. Dès qu'il s'engage dans une direction, c'est pour tout remettre en question quelques mesures plus tard et obliquer dans un autre sens. On ne saurait pourtant accuser Koroliov d'être velléitaire ou superficiel, tant il est sérieux et engagé dans son art. Faut-il voir dans cette versatilité l'expression d'une subjectivité multiforme ? Si tel est le cas, cette interprétation n'en paraît que plus hermétique et ennuyeuse.
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Théâtre des Champs-Élysées, Paris Le 05/02/2002 Christelle CAZAUX |
| L'Art de la Fugue par Evgueni Koroliov, Théâtre des Champs-Elysées, Paris. | J. S. Bach : L'Art de la fugue BWV 1080
Evgueni Koroliov, piano | |
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