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CRITIQUES DE CONCERTS |
10 octobre 2024 |
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Nouvelle production d'Idomeneo de Mozart à l'Opéra de Paris.
Boire ou conduire,
il faut choisir
© Eric Mahoudeau
Avec Idomeneo de Mozart, Ivan Fischer a voulu occuper tout le terrain, de la fosse à la mise en scène. Mais il ne suffit pas de déclarer qu'il y a « une harmonie organique entre la dimension musicale et la dimension théâtrale », encore faut-il la mettre en oeuvre et en faire la preuve avec d'autres arguments qu'une baguette et des décors en carton-pâte.
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Le résultat ? Des chanteurs doublement abandonnés à eux-mêmes et au triste sort que leur réservent les événements, livrés à des dieux dont on comprend la fureur devant de si pâles créatures, des choeurs frileusement serrés en masses compactes les uns contre les autres, ne s'égayant que pour se déployer en ligne de front de scène, une chorégraphie d'un tel ridicule qu'elle déchaîna le fou-rire d'un public déjà atterré par la laideur des décors en carton-pâte et les très évitables images de synthèse, pour le moins peu inventives, de Jean-Marc Stehlé.
Si l'opéra est le lieu de tous les possibles, encore faut-il trouver un projet cohérent capable de les fédérer. Mais le plus grave est encore la conception de l'interprétation mozartienne d'Ivan Fischer, et surtout du rôle de l'orchestre dans cet Idomeneo que Mozart enflamme de toute sa jeunesse et déjà de son génie dramatique.
Bien qu'il ait acquis aujourd'hui un niveau très honorable, l'orchestre de l'Opéra de Paris était méconnaissable ; mais non coupable. Que pouvait-il faire devant la raideur de la battue du chef, indifférent précisément à la dramatisation de la musique, aux multiples innovations d'un Mozart bousculant les règles convenues de l'opera seria pour engager le théâtre musical dans la voix royale de la modernité ? Désespérant !
Rien à sauver ? Si. Susan Graham, Idamante parfait dans tous les registres, imposant envers et contre tout sa présence scénique, et Mary Mills, adorable et lumineuse Ilia. On n'oubliera pas non plus les deux costumes d'Elettra, miraculeusement épargnés de la pauvreté qui frappe guerriers, matelots et autres grands prêtres.
Enfin, on croyait Mozart définitivement absent. Erreur ! On le vit surgir sur scène à la fin du spectacle, gracieux et frétillant dans son bel habit de satin bleu, ses bas blancs et ses souliers à rubans. Un peu tard
Françoise MALETTRA
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Ivan le terrible
Après le succès de Barbier de Séville à l'Opéra Bastille, on allait tout ragaillardi à la nouvelle production d'Idoménée au Palais Garnier. D'autant que les décors étaient signés du même Jean-Marc Stehlé qui avait si bien réussi ceux de La flûte enchantée et du Barbier.
Seul sujet d'incertitude : qu'allait faire le chef Ivan Fischer auto-proclamé metteur en scène ? Rarement déception aura été aussi grande et spectacle aussi misérable. Dire qu'on se serait cru revenu cinquante ans en arrière serait presqu'une insulte aux piètres productions d'après-guerre !
La mise en scène ? Elle oscille entre l'indigence par absence de direction d'acteurs et d'idées scéniques et le grotesque par l'accumulation de détails laids et inutiles. Les éclairages semblent assurés par les lumières de secours, les maquillages réalisés par une classe de maternelle pour carnaval, la chorégraphie réglée pour une émission de variétés du dimanche après midi à la télévision.
La complication des décors le dispute à leur repoussante laideur dépourvue de tout style et toute homogénéité. Quant aux chanteurs, ils paraissent abandonnés musicalement autant que scéniquement. Si la magnifique Susan Graham impose un Idamante proche de la perfection, tous les autres, sans que l'on puisse dire qu'ils aient de vilaines voix- et on connaissait déjà bien Mary Mills et Christine Goerke- y vont à plein gosier, avec des styles aussi divers qu'éloignés de l'idéal mozartien.
À vouloir tout diriger, Ivan Fischer n'a rien maîtrisé du tout, car on veut croire que l'affligeant résultat obtenu n'est pas celui que cherchait un Ivan absolument terrible
GĂ©rard MANNONI |
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Autant en emporte les vents
Quand les chefs décident de régenter la scène, il y a souvent matière à s'inquiéter. Mais encore faut-il se remémorer un Don Carlos salzbourgeois réglé par le « chefissime » Karajan ou un Cosi parisien entièrement régit par le maestro Gardiner : rien de révolutionnaire mais pas non plus de contresens flagrant. La mise en scène ne faisait pas obstacle à la partition, c'était déjà pas si mal.
Mais la prévention routière ne dit-elle pas : « Boire ou conduire, il faut choisir » ? Si Gardiner ou Karajan ont sauvé les meubles, Ivan Fischer est encore loin d'approcher la stature de l'un ou de l'autre, et il aurait sûrement gagné à concentrer son énergie sur la musique.
Car - est-ce le manque d'aptitude à la polyphonie scène-fosse ?- sa direction parut constamment plate et convenue, manquant singulièrement de relief, de panache, de dynamique et de profondeur. Une preuve parmi cent ? Les magnifiques choeurs en constants décalages et des chanteurs en difficulté d'arrimage avec l'orchestre.
Le plateau était cependant très honorable et a largement contribué à ne pas faire de cette représentation un total désastre. Mais malgré un timbre séduisant et un style élégant, l'Idoménée de Marius Brenciu paya de quelques huées le soir de la première de rares faiblesses sans doute l'effet du trac et de l'abandon du chef.
Même Susan Graham fut victime de la direction émolliente de Fischer et se trouva en difficulté dans son premier air. Elle ne s'est cependant pas laissée tromper deux fois, et par la suite décida de ne plus se soucier de l'orchestre comme de son piteux timonier. Bien lui en prit.
Forte d'un joli timbre fruité qui prit progressivement du volume et de l'épaisseur, Mary Mills incarna une touchante Ilia. Son vibrato mal contrôlé en début de représentation trahissait cependant la tension que doit ressentir un chanteur seul au monde sur scène. Sans aucun doute l'interprète idéale du moment pour le rôle d'Elettra (puissance, homogénéité de la voix sur toute la tessiture, tempérament, intelligence du texte et du théâtre), l'immense Christine Goerke dut souffrir cette même punition dont personne ne fut épargné.
Et que faire quand les décors ressemblent à ces affiches que l'on peignait en devanture des cinémas jusque dans les années soixante-dix ? Etait-ce Idomeneo ou Vingt mille lieux sous les mersversion théâtre de sous-préfecture ? Et comment se concentrer lorsque la scène et la chorégraphie font pouffer de rire le public ? On imagine la détresse du pauvre Idoménée affublé de peaux de bêtes, d'Ilia contrainte à s'asseoir sur un paon transformé en siège, ou d'Idamante victime d'une séance d'emmaillotage sous bandelettes façon momie égyptienne.
Mais le plus surprenant reste finalement que la direction de l'Opéra de Paris ne semble n'avoir rien entrepris pour arrêter les frais ou recentrer le projet. Le contrat d'Ivan Fischer était-il si mal ficelé et imprévoyant que l'on ne puisse plus tempérer les bévues d'un débutant à la scène ? À Hollywood, on se souvient de grosses productions stoppées net en plein tournage, de multiples changements de metteurs en scène plutôt que de laisser un projet sombrer, comme ici, autant en emporte les vents.
Juliette BUCH
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Palais Garnier, Paris Le 08/04/2002 Françoise MALETTRA |
| Nouvelle production d'Idomeneo de Mozart à l'Opéra de Paris. | Orchestre et Choeurs de l'Opéra National de Paris
Direction et mise en scène : Ivan Fischer
Décors et costumes : Jean-Marc Stehlé
Chorégraphie : Yvette Bozsik
Avec Marius Branciu (Idomeneo), Susan Graham (Idamante), Mary Mills (Ilia), Christine Goerke (Elettra), Michael Myers (Arbace), Donald Litaker (Gran Sacerdote)
Du 8 avril au 2 mai 2002 | |
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