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CRITIQUES DE CONCERTS |
05 octobre 2024 |
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Création de l'opéra Perelà , Uomo di fumo de Pascal Dusapin à l'Opéra de Paris.
La prise de la Bastille
© Eric Mahoudeau
Ni sifflets ni tomates pour Pascal Dusapin qui a toutes les raisons d'être heureux. Son entrée officielle à l'Opéra Bastille a été saluée par un triomphe sans ambiguïté à l'issue de la création de son quatrième opéra, Perelà , l'homme de fumée , un sujet insolite magnifié par la mise en scène de Peter Mussbach.
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Perelà est né d'une rencontre forte et durable, il y a dix ans, entre le livre éponyme d'un inconnu (en France) célèbre (en Italie), Aldo Palazzeschi, un des membres importants du futurisme italien des années 1910.
Roman fantastique, conte philosophique, son héros est une énigme, une apparition aux frontières du réel, une absence-présence. Figure immatérielle descendue du ciel vers la lumière dans un nuage de fumée, Perelà parle peu, très peu.
De ses trois mères nourricières, Pena, Rete, Lama, qu'il ne cesse d'invoquer, il a reçu la connaissance, mais non l'expérience. Egaré dans un royaume dont le prince est un enfant, il lui faut écouter, observer, mettre un nom sur les choses pour s'en étonner ou s'en émerveiller.
On ne sait de quel message il est porteur. On y voit l'émanation christique d'un homme de trente-trois ans, sans géniteur, silencieux, mobilisateur, aimé de tous. Mais Perelà n'agit pas, n'interroge pas, n'intervient pas, ne cherche pas à convaincre.
Autour de lui grouille un petit peuple déboussolé de gnomes, humanoïdes dégénérés obéissant à un archevêque hystérique en collant rose, une reine hallucinée coiffée des pattes d'un scorpion, une marquise en mal d'amour (Marie-Madeleine ?), un vieux valet qui s'immolera par le feu (un martyr des premiers âges ?), un philosophe cynique, un banquier véreux.
Étranger aux fantasmes que crée son apparence, Perelà regarde sans les voir ces étranges créatures qui veulent faire de lui un législateur appelé à élaborer le nouveau " Code " de la cité. Les mêmes créatures que le même mystère conduira à le nier et à le condamner.
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Littérature très musicale
Pascal Dusapin avoue que le texte de Pallazeschi a été pour lui comme " une transfusion du monde de la musique vers un monde littéraire ", ajoutant que " pour la première fois, c'était la littérature qui allait chercher la musique ".
Et le choix de la langue italienne pour sa propre adaptation du livret n'est pas neutre. Il se voulait au plus près du style de l'écrivain, lequel le définissait comme " pas beau, mais homogène, plein d'idées grandioses et de hardiesse, fait pour libérer la parole, sans se soucier d'une forme susceptible de la vider de sa force d'expression ".
Dusapin en épouse les intonations, le chant large ou les brusques inflexions. Il en exploite la violence et la morbidezza, accentuant la caractérisation des personnages, au point d'en faire des archétypes. En homme libre, qui balaye toute allégeance aux courants dominants, il cherche avant tout de nouvelles solutions à l'écriture pour le théâtre.
Son dernier opéra en est un exemple : loin des abstractions de Roméo et Juliette ou de Medeamaterial, il opère un certain retour à la narration, même si celle-ci se situe dans l'univers fantastique d'une " allégorie de la pensée ".
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Efficacité sans faille
Sur une trame harmonique statique, mais raffinée, il installe à l'orchestre une dramaturgie musicale qui anticipe sur chaque changement de climat, suggère et provoque avec une efficacité sans faille. Sur le plateau, le chant se taille une part royale : arias, duos, ensembles se succèdent, redonnant toute sa place aux valeurs essentiellement expressives de la musique.
Tous les interprètes sont à la hauteur de l'entreprise, avec mentions spéciales pour l'excellence du choeur Accentus, l'abattage de Dominique Visse (l'Archevêque), la performance scénique et vocale du ténor John Graham-Hall (Perelà ) et les beaux accents tragiques de Nora Gubisch (La Marquise de Bellonda).
Quant à la mise en scène de Peter Mussbach, elle est d'une beauté et d'une invention permanentes, avec des images stupéfiantes (le " Salon de thé " où les dames du royaume accueillent Perelà  chapitre II, " Le Bal " -chapitre 4, ou le final conçu comme un tableau de De Chirico).
La bataille de Perelà , l'homme de fumée, n'aura pas eu lieu. Pascal Dusapin a réussi sa prise de la Bastille sans avoir à engager le combat. C'est peut-être le signe que la grande Maison est enfin devenue un opéra " moderne et populaire ".
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Opéra Bastille, Paris Le 24/02/2003 Françoise MALETTRA |
| Création de l'opéra Perelà , Uomo di fumo de Pascal Dusapin à l'Opéra de Paris. | Opéra en dix chapitres
Livret de Pascal Dusapin, adapté de l'oeuvre d'Aldo Palazzeschi Il Codice di Perela
Orchestre de l'Opéra National de Paris
Choeur de chambre Accentus  Dir : Laurence Equilbey
Direction musicale : James Conlon
Mise en scène : Peter Mussbach
DĂ©cors : Erich Wonder
Costumes : Andrea Schmidt-Futterer
Lumières : Alexander Koppelmann
Avec John Graham-Hall (Perela), Martine Mahé (Une pauvre vieille), Nora Gubisch (La Marquise Oliva de Bellonda), Gregory Reinhart (Premier garde du Roi, Le Philosophe Pilone), Jaco Huijpen (Le Chambellan, Le Ministre), Scott Wilde (Le Valet, Alloro, Le Président du tribunal), Youngok Shin (La Reine), Chantal Perraud (La fille d'Alloro), Nicolas Courjal (Deuxième garde du Roi, Le Banquier Rodella), Dominique Visse (L'Archevêque), Daniel Gundlach (Le Perroquet), Isabelle Pierre (La jeune fille à la flûte), Paul-Alexandre Dubois (L'aide du Roi), Pierre Corbel (Un homme seul), Benjamin Clee, Caroline Chassany, Valérie Rio (trois femmes), Grégoire Fohet-Diminii, Pïerre Corbel, Paul-Alexandre Dubois (trois hommes) | |
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