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CRITIQUES DE CONCERTS |
15 septembre 2024 |
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Nous n'avons pu, faute de place, assister au premier des trois concerts. Mais à l'écoute d'Amériques de Varèse cataclysmiques retransmises en direct sur une radio locale, on préssentait assez la qualité des deux concerts à venir.
Le premier, regroupant Le Mandarin Merveilleux et Daphnis et Chloé, tous deux dans leur version intégrale, allait combler nos attentes. Pourtant, dans Bartók, Boulez semble au départ un peu sur la réserve, mais des cordes en acier trempé - bien plus électriques et tranchantes que dans son dernier enregistrement avec Chicago - effacent vite la relative neutralité du début. Libérant l'énergie d'un orchestre bridé jusque-là , le chef français donne une Scène de l'oreiller d'une tension à couper le souffle, fruit d'une radiographie éclatante de la partie de percussions, presque bruitiste.
S'ensuit un Daphnis éblouissant de clarté, de finesse, de vigueur rythmique et de sonorités envoûtantes - des bois diaphanes - à la mise en place impeccable et au sens narratif digne des plus grands conteurs - un lever de soleil presque visuel. On comprend alors pourquoi le Philharmonique de Berlin est considéré comme le meilleur orchestre du monde, même si on en doutait un peu depuis la mort de Karajan.
Abbado est certes un artiste accompli, mais il n'est pas de ces chefs qui réussissent à transcender un orchestre. Et c'est bien de transcendance qu'il s'agit ici, dans une Danse générale effrénée, au crescendo final vertigineux. Le CD Deutsche-Grammophon avait réglé d'un revers de la main la question de la discographie entière du ballet de Ravel. Le concert, à niveau technique comparable, est encore plus grisant.
La deuxième soirée, à trop attendre le Sacre, on s'impatiente pendant Eclat/Multiples, pièce à l'orchestration sublime, mais bavarde, comme bien des oeuvres du Maître français. Les Symphonies d'intruments à vent qui suivent sont le tremplin idéal pour aborder un chef-d'oeuvre de l'ampleur du Sacre.
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Un Sacre "rouleau compresseur"
On est alors médusé devant une Philharmonie de Berlin complètement galvanisée par un Pierre Boulez au sommet de son art. Son enregistrement le plus récent, Deutsche Grammophon 1991, est souvent considéré, à juste titre, comme inférieur à celui de 1969, le chef français privilégiant par trop l'analyse et la plastique du son au détriment de la sauvagerie nihiliste de la partition.
A Lucerne, on trouve toujours les qualités de pénétration du texte musical qui sont la marque de fabrique de Boulez, mais le déchaînement élémentaire et la brutalité ancestrale du Sacre, qu'on croyait plus l'apanage des Svetlanov, Markevitch, Bernstein ou Salonen, sont ici écrasants. La puissance phénoménale des Berliner semble illimitée, notamment dans une Danse de la Terre au crescendo final panique, déflagrant, laissant la salle hébétée.
Le travail de répétition de Boulez est tout entier consacré à des considérations techniques comme l'intonation, la balance instrumentale, la propreté de la mise en place. Une fois ces paramètres réglés, le chef français laisse l'orchestre sonner à sa manière. Et ici, l'apport des Berliner à sa lecture produit le même miracle que la veille.
Au disque, tout ce qui manquait de tranchant, d'éclat, d'arêtes vives, saute ici à la gorge. Mais que les tremblements de terre bouléziens sont habillement contrôlés, et jamais on n'a l'impression que l'orchestre est au bout de ses possibilités, ni qu'un dérapage va survenir.
L'auteur du Marteau sans Maître dirige toujours avec un geste minimal, mais dès lors qu'il met en relief tel accent, le son renvoyé par l'orchestre est éclatant, jusque dans une parfaite maîtrise de la Danse Sacrale, comme toujours assez lente mais d'une incroyable cruauté : cuivres chauffés à blanc, percussions fracassantes.
Le mélange d'une lecture implacable, de style rouleau compresseur, allié à la sauvagerie d'un orchestre illimité en dynamique produit un Sacre inoubliable, de ces concerts dont on reparle vingt ans après avec le même enthousiasme. De quoi clouer le bec à tous ceux qui pensent que Boulez n'est capable que de froide cérébralité.
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Konzertsaal, Kultur- und Kongresszentrum, Luzern Le 01/09/2002 Yannick MILLON |
| Concerts de l'Orchestre Philharmonique de Berlin sous la direction de Pierre Boulez au festival de Lucerne. | 31 août :
Béla Bartók (1881-1945)
Le Mandarin merveilleux, pantomime en un acte Sz73
Maurice Ravel (1875-1937)
Daphnis et Chloé, symphonie chorégraphique en trois parties
1er septembre :
Pierre Boulez (*1925)
Eclat-Multiples, pour 27 instruments
Igor Stravinski (1882-1971)
Symphonies d'instruments à vent
Le Sacre du Printemps, tableaux de la Russie païenne en deux parties
Schweizer Kammerchor
Berliner Philharmoniker
direction : Pierre Boulez | |
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