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CRITIQUES DE CONCERTS |
10 décembre 2024 |
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Reprise de la Jenůfa de Janaček mise en scène par StĂ©phane Braunschweig au Théâtre du Châtelet, Paris.
Jenůfa entre classe et ruralitĂ©
Pour la reprise de la Jenůfa de Braunschweig datant de 1996, le Châtelet se paie le luxe d'une mise en scène et d'une distribution de classe, mais fait aussi les frais d'un orchestre et d'une direction Ă la « ruralitĂ© » prononcĂ©e, sans toutefois que s'efface la prĂ©sence de Karita Mattila qui comme souvent, brĂ»le les planches.
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Le premier mot qui vient à l'esprit pour qualifier la mise en scène de Stéphane Braunschweig est « efficacité ». La conception du metteur en scène français, des plus sobres, évite tous les pièges d'une lecture trop axée sur le folklore tchèque, laissé à l'orchestre, pour une peinture psychologique des plus convaincantes. Les décors sont réduits au strict minimum : deux panneaux de bois, un sol couvert de fausse farine, un petit lit blanc, quelques bancs. Au deuxième acte, on ne perçoit que mieux l'impression d'enfermement, d'inéluctabilité du drame, d'étau qui se resserre autour de la Sacristine.
Dans son extrĂŞme simplicitĂ©, la prière de Jenůfa dans le lit de son enfant Ă©meut. L'Ă©puration prĂ´nĂ©e par Braunschweig renforce les nervures dramatiques de l'ouvrage et intensifie en une sorte de huis-clos la complexitĂ© des liens affectifs et des dĂ©chirements de la famille Buryja. Dans un contexte aussi dĂ©pouillĂ©, l'apparition Ă deux reprises d'une roue de moulin sanglante fait un effet maximal.
Au niveau vocal, mĂŞme classe. La production bĂ©nĂ©ficie d'une solide distribution, plutĂ´t homogène dans son ensemble. Karita Mattila est toujours la Jenůfa de rĂŞve qu'elle campait Ă Salzbourg il y a deux ans, la mĂŞme femme sacrifiĂ©e qui Ă©meut au-delĂ des mots dans sa prière au II et dans son pardon au III. La soprano finlandaise est toujours aussi belle en scène et inoubliable de par son timbre sombre et sa musicalitĂ© Ă fleur de mot. Un dĂ©but de premier acte un peu laborieux et des aigus toujours fĂ©briles n'enlèvent rien Ă son rayonnement, car Mattila est aujourd'hui sans concurrence dans ce rĂ´le qui semble taillĂ© pour elle.
Kostenička aux antipodes d'Astrid Varnay
En face d'elle, la Kostelnička de Rosalind Plowright fait presque plus figure de soeur compatissante que de belle-mère acariâtre et intraitable. Aux antipodes du personnage monstrueux et impitoyable que campait jadis Astrid Varnay, Plowright est la plus humaine des Kostelnička, la plus pĂ©trie de contradictions. La voix ne manque toutefois pas d'autoritĂ©, et la Britannique Ă l'Ă©mission large et sonore ne connaĂ®t de difficultĂ©s que dans l'extrĂ©mitĂ© de la tessiture, se montrant en pĂ©ril seulement sur les notes les plus aiguĂ«s, intonnĂ©es trop bas.
Le Števa de Gordon Gietz ne manque pas de qualités : belle gueule, beau physique et un air de frimeur irrésistible et agaçant à la fois, de ceux pour qui tout réussit en claquant des doigts. La voix, très sortie, est assez atypique, manquant d'ampleur et de brillant dans l'aigu, mais impressionnante de masculinité dans le bas médium et le grave, dignes d'un baryton.
Le Laca de Stefan Margita, looser pathétique dont on ne peut que partager la jalousie pour son demi-frère, impose lui aussi une belle présence en scène. La voix, beaucoup plus claire que celle de Gietz, est aussi très sortie, dotée d'aigus conquérants mais droits, au timbre peu flatteur, car trop vert. Le reste de la distribution est honorable, particulièrement le Jano prometteur et lumineux de Simona Houda-Šaturová, l'Aïeule de Menai Davies et le Contremaître d'Ivan Kušnjer.
Orchestre et direction frustes
Pour ce drame rural, si le plateau s'impose par sa belle qualité, on ne pourra pas en dire autant de la fosse qui affiche une trivialité, une « ruralité » orchestrale assumées jusque dans des solos de violon victimes de la tremblante du mouton, des interventions de cuivres tout en décibels et à l'intonation calamiteuse, et des timbales au son creux évoquant le lapin Duracell.
Toutefois, la lecture de Cambreling n'arrange pas la situation. Constamment maladroite, entachée d'imprécisions rythmiques et d'une sorte d'indifférence, la direction du chef français ne décolle à aucun moment. La fin du deuxième acte est plombée, celle du troisième acte simplement bruyante. Et comment profiter de la partie d'orchestre dans le chaos du court prélude au premier acte – à la synchronisation désastreuse – et de la scène du retour de la conscription – aux choeurs à l'avant-scène mais complètement décalés avec l'orchestre ? Ce dernier, censé être un des meilleurs orchestres français, sonne sec, rêche, et force par trop la nuance, couvrant souvent le plateau.
Il est dommage que cette production qui a tout pour plaire soit Ă ce point desservie par une prestation de fosse aussi mĂ©diocre. Mais en sortant de la salle, on oublie vite la dĂ©convenue pour ne retenir finalement que de la beautĂ© de cette Jenůfa idĂ©ale qui a pour nom Karita Mattila.
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Théatre du Châtelet, Paris Le 15/05/2003 Yannick MILLON |
| Reprise de la Jenůfa de Janaček mise en scène par StĂ©phane Braunschweig au Théâtre du Châtelet, Paris. | Leoš Janaček (1854-1928)
Jenůfa, opĂ©ra en trois actes
Livret du compositeur d'après la pièce Jejà pastorkyña de Gabriela Preissová
Créé le 21 janvier 1904 à l'Opéra national de Brno
Version originale de Brno, édition retravaillée par Mackerras
Chanté en tchèque
Choeur du théâtre du Châtelet
Orchestre de Paris
direction : Sylvain Cambreling
mise en scène et décors : Stéphane Braunschweig
costumes : Thibault Vancraenenbroeck
Ă©clairages : Marion Hewlett
maquillages : Suzanne Pisteur
chef des choeurs : Donald Palumbo
Avec :
Karita Mattila (Jenůfa), Rosalind Plowright (Kostelnička), Stefan Margita (Laca), Gordon Gietz (Števa), Menai Davies (l'AĂŻeule), Ivan Kušnjer (le ContremaĂ®tre), RenĂ© Schirrer (le Juge), Galina Kuklina (la Femme du Juge), Pavla Vykopalová (Karolka), Marta Beňačková (la Vachère), Helena Kaupová (Barena), Simona Houda-Šaturová (Jano), Caroline Allonzo (la Tante). | |
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