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CRITIQUES DE CONCERTS |
10 décembre 2024 |
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Quatrième et dernière reprise du Lohengrin de Keith Warner au festival de Bayreuth.
Bayreuth 2003 (2) :
Un bien triste adieu
Peter Seiffert
Inauguré en 1999 sur la Colline verte, le Lohengrin de Keith Warner est donné pour la cinquième année consécutive à Bayreuth. L'occasion de retrouver la plus intéressante et belle mise en scène bayreuthienne depuis le Ring de Kupfer, mais aussi l'occasion d'en profiter pour la dernière fois, car la production quittera le Festspielhaus à la fin de l'été.
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On a déjà tout dit ou presque du Lohengrin de Warner : sa beauté plastique – des décors et des éclairages nocturnes magnifiques – sa finesse dans la caractérisation psychologique – la quasi complicité entre Elsa et Ortrud, l'épaisseur inédite donnée à Friedrich von Telramund – son efficacité dans les déplacements de la foule sur scène. Tout entière traversée par une poésie bouleversante, la mise en scène du Britannique est d'une imagination sans fin dans les passages purement musicaux. Ainsi, au lieu de nous y affubler – à l'instar de Philippe Arlaud dans Tannhaüser ou de Jürgen Flimm dans le Ring – d'un baisser de rideau, Warner utilise au contraire la musique pour peindre des tableaux féériques. Son Lohengrin, inénarrable, vit avec la musique, respire avec elle, et laisse une série de tableaux magnifiques, comme la dernière image de l'opéra, qu'on croirait issue d'une toile de maître.
La production bayreuthienne bénéficie d'une des plus belles distributions de ces dernières années. Au premier chef, le Lohengrin de Peter Seiffert, une des incarnations majeures de notre temps, saluée par des tonnerres d'applaudissements. Le ténor allemand, à la présence juvénile et virile, au timbre clair et jeune, au vibrato large, campe un Lohengrin plus héroïque que de coutume. Il est peut-être un rien cantonné dans une émission forte, et sa demi-teinte ne restera pas dans les annales du chant wagnérien, mais comment se plaindre, alors que des voix comme celles-ci sont une denrée rarissime ? Son épouse à la ville, Petra-Maria Schnitzer, est une Elsa de haut niveau, au timbre soyeux, au beau legato, à la belle musicalité – somptueuses attaques piano. L'émission se crispe et l'intonation est trop basse sur les notes les plus aiguës, mais la soprano ne démérite pas.
Le couple de méchants est remarquable, particulièrement le génial Friedrich de John Wegner, à la présence inquiétante, à la personnalité complexe, avec sa voix noire et fielleuse, et ses aigus éclatants et d'une rare puissance. C'est un tour de force quand on sait que la plupart des barytons qui s'attaquent à ce rôle inchantable s'y cassent les reins. En magicienne païenne, Judit Nemeth offre un intéressant mélange d'élégance et d'hypocrisie, loin des folles hurlantes. La voix est aiguisée à souhait, même si elle est un peu courte en volume.
Le Roi de Reinhard Hagen est tout de noblesse de timbre, de force tranquille, et si les notes du second passage sont détimbrées et en arrière, c'est pour une bonne raison : le baryton est malade, comme vient l'annoncer Wolfgang Wagner devant le rideau juste avant le début du troisième acte. Enfin, Roman Trekel est un Héraut solide, même si la voix paraît une fois encore un peu petite, mais avec une silhouette aussi svelte, il ne faut pas attendre du baryton la projection phénoménale d'un Seiffert.
Peu de choses à dire en revanche sur la magnificence des choeurs, comme toujours au top niveau. Tout y est : précision rythmique chirurgicale, attaques au laser, éventail dynamique infini. On ne peut que féliciter Bayreuth d'avoir opté pour Eberhard Friedrich au départ de Norbert Balatsch en 1999, car plus que jamais, le choeur du festival mérite son titre de meilleur choeur d'opéra de la planète.
Quant à la direction d'Andrew Davis, elle est typique d'un kapellmeister d'antan : équilibrée, plutôt bien sonnante, ni géniale, ni médiocre. L'ouverture est un beau moment, le premier acte bien construit, avec des scènes de foule efficaces. Le deuxième acte, pas assez dramatique en sa première partie, résiste encore un peu au chef du London Philharmonic, en outre négligent dans les départs et peu attentif aux fréquents écarts de justesse de la petite harmonie. Sans jamais atteindre l'ivresse sonore de Thielemann dans Tannhaüser ni la tension permanente d'Albrecht dans le Vaisseau, Davis propose un Lohengrin honorable.
C'est donc avec beaucoup de regrets que l'on se doit de dire adieu à cette magnifique production. Mais le bruit court qu'en 2005, année sans Ring, il se pourrait que le chevalier au cygne pointe à nouveau le bout de son nez sur la Colline. Elevons nous tous d'une même voix pour lui dire : « Komm schnell zurück ! ».
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Festspielhaus, Bayreuth Le 15/08/2003 Yannick MILLON |
| Quatrième et dernière reprise du Lohengrin de Keith Warner au festival de Bayreuth. | Richard Wagner (1813-1883)
Lohengrin, opéra romantique en trois actes
Livret du compositeur
Choeur et Orchestre du Festival de Bayreuth
direction : Sir Andrew Davis
mise en scène : Keith Warner
décors : Stefanos Lazaridis
costumes : Sue Blane
préparation du choeur : Eberhard Friedrich
Avec :
Reinhard Hagen (le Roi Heinrich), Peter Seiffert (Lohengrin), Petra-Maria Schnitzer (Elsa), John Wegner (Friedrich von Telramund), Judit Nemeth (Ortrud), Roman Trekel (le Héraut), Tomislav Muzek (premier noble), Helmut Pampuch (deuxième noble), Attila Jun (troisième noble), Alexander Marco-Burhmester (quatrième noble). | |
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