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CRITIQUES DE CONCERTS |
11 décembre 2024 |
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Nouvelle production de l'Enlèvement au Sérail de Mozart au festival de Salzbourg.
Salzbourg 2003 (3) :
l'Enlèvement du sérail
Depuis la Chauve-Souris imbuvable et prétentieuse de Neuenfels en 2001, Salzbourg n'avait pas connu pareil scandale que cet Enlèvement qui a fait l'ouverture de l'édition 2003 du festival. La mise en scène du jeune Norvégien Stefan Herheim, sans sérail, sans enlèvement et sans Bassa Sélim, s'est attiré les foudres d'une grande majorité des spectateurs.
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Les lallations d'un bébé, Adam et Eve nus comme il se doit, bientôt engloutis dans un groupe de futurs jeunes mariés ; comme si la question de la fidélité et du triomphe de l'amour pour les personnages de Mozart se superposaient à la capacité pour un homme et une femme de vivre ensemble, pour le meilleur et pour le pire. Donc pas de sérail, ni d'évasion, et des protagonistes qui prêtent tour à tour leur voix à un Bassa Sélim absent de la mise en scène.
Le seul piège auquel sont confrontés les personnages est une sorte de rituel initiatique – merci la Flûte – à travers les affres du mariage. Osmin, en prêtre catholique, invoque Mahomet (!), et tranforme son Tralalera en Alléluïa (!). Belmonte est englouti dans la terre quand il veut voir Konstanze – merci Don Giovanni –, et ce n'est qu'à la fin du Singspiel qu'Osmin célébrera l'union des deux couples, beaucoup moins enthousiastes après les péripéties traversées.
Violence conjugale, société de consommation et électro-ménager, emménagement dans une jolie maison bourgeoise, toutes les étapes de la vie de couple y passent avec force gags : tapis volant, panne d'életricité entraînant l'entracte en plein deuxième acte, massacres à la bouteille et au couteau sur scène, tout cela conjugué à un dispositif audiovisuel efficace et une régie parfaitement synchronisée. Mais le spectateur non germanophone est largué dans des dialogues parlés très remaniés, en raison de l'absence totale de surtitrage.
Le visuel suffit parfois – hilarante scène Blonde-Osmin au deuxième acte – mais l'échange fréquent entre les deux couples – merci Così – reste obscur. De même, l'inclination maladive de Konstanze pour la mort, ou l'envoûtement par les poupées vaudou – Ken et Barbie couronnant la pièce montée du mariage. Beaucoup de trouvailles, une belle finition, une cohérence en soi, mais nous sommes à mille lieux des préocupations de l'Enlèvement au Sérail de Mozart.
Fumier !
Si la transposition dans une boutique de robes de mariées des Noces de Christoph Marthaler fonctionnait à la perfection en 2001, celle de Stefan Herheim, victime lui aussi du « syndrome Pronuptia » qui sévit à Salzbourg, tire en permanence le texte, et s'avère ici incongrue. En résulte une salle à l'ambiance particulièrement électrique où se font entendre à plusieurs reprises quelques « Fumier ! ».
Heureusement, le plateau est irrésistible. Avant tout autre, l'Osmin de Peter Rose, fantastique comédien, vraie basse bouffe qui avale ce rôle et ses difficultés cul-sec : beau timbre, aigus conquérants, graves faciles, jusqu'à un ré mordant. Le second couple, Pedrillo-Blonde, bénéficie des voix de Dietmar Kerschbaum et Diana Damrau, qui pourraient aisément chanter le premier couple tant leur prestation est désarmante de facilité et de classe. Damrau campe une Blonde exubérante, dont la voix de soprano lyrique-léger est à la fois ronde et brillante. Kerschbaum est un Pedrillo très présent, qui vole la vedette à Belmonte par son panache, son timbre jeune et lumineux, et ses la aigus vaillants.
Il en va de même de la Konstanze pétillante et diablement bien chantante d'Iride Martinez, avec son timbre à la Dessay, ses aigus faciles et ses vocalises très nettes. Il est dommage que Jonas Kaufmann grève la distribution, avec son Belmonte trop héroïque, dont la voix, taillée pour des rôles plus larges, est ici hors-sujet. Le ténor allemand chante trop fort, faux dans les piano, et son timbre sombre est plus celui d'un Max ou d'un Tannhaüser que d'un jeune premier mozartien.
Parfait classicisme
Quant à la direction d'Ivor Bolton, assez sévèrement décriée pour on ne sait quelle raison, elle est une démonstration d'équilibre, de style mozartien, et s'avère on ne peut mieux sonnante, grâce à un orchestre du Mozarteum en forme olympique.
Le Mozart du chef britannique a juste ce qu'il faut de XVIIIe : attaques-résonances courtes, cordes parcimonieusement vibrées, luminosité de la petite harmonie, dont on notera le côté fastueux et le détachement très net de la fosse. Dans des tempi toujours justes, ce Mozart est idéalement classique, jamais inutilement surexcité comme l'est celui, beaucoup plus acide, de Minkovski, tempérant un peu la fougue excessive de la scène et assurant confort aux chanteurs.
Au final, on ressort du Kleines Festspielhaus ravi par un spectacle musicalement réjouissant, mais dont la mise en scène, pourtant loin d'être inintéressante, ne nous a pas fait assister à l'Enlèvement au Sérail, mais à l'Enlèvement du Sérail.
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