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CRITIQUES DE CONCERTS 19 avril 2024

Nouvelle production de Salomé de Richard Strauss à l'Opéra Bastille, Paris.

Incandescente Salomé
© Eric Mahoudeau

Chris Merritt (Hérode), Karita Mattila (Salomé)

Pour sa dernière saison à la tête de l'Opéra de Paris, Hugues Gall s'est donné les moyens de sortir par la grande porte, avec une nouvelle production de Salomé mémorable, bénéficiant d'une distribution et d'une mise en scène prestigieuses, et rien moins que la prise de rôle de Karita Mattila, devant le public qui lui est le plus cher.
 

Opéra Bastille, Paris
Le 26/09/2003
Yannick MILLON
 



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  • Ce serait mentir que de nier qu'on attendait la bouillonnante Finlandaise dans l'un des plus grands et difficiles rĂ´les du rĂ©pertoire opĂ©ratique, tout en craignant quelque peu une partielle incapacitĂ© Ă  passer les dĂ©ferlements de l'orchestre. Par nature, physique autant que vocale, Mattila semblait plus prĂ©disposĂ©e aux Wagner Blonds, les Elsa, Elisabeth, ou mĂŞme Eva.

    Mais voilà, son tempérament volcanique lui a fait oser Salomé, et l'on reste soufflé par la réussite totale de cette prise de rôle. Elle a sagement laissé de côté la gamine capricieuse, qui n'est de toute façon plus de son âge, pour établir un personnage beaucoup plus pervers et psychotique, à la limite de l'aliénation mentale. Sans manquer de jeunesse, sa Salomé marque par sa détermination farouche et l'intensité d'un jeu de scène préparé et mûri longtemps à l'avance.

    Une Salomé « torche »

    Tantôt se mordant les doigts avec un air affolé, tantôt s'agrippant à la cage de Jochanaan comme une chatte en chaleur, tantôt se déhanchant lascivement devant un Hérode qui n'en peut plus, Mattila brûle les planches telle une torche inextinguible.

    Au niveau vocal, on reste coi devant la capacité de la Finlandaise à se fondre dans les timbres de l'orchestre, dans des pianissimos sensuels et somptueux, particulièrement dans le haut-médium, partie la plus exceptionnelle de son registre. Et l'aigu, souvent fragile et tendu, est ici comme transfiguré : net, coupant, brûlant, passant la masse orchestrale sans la moindre trace d'effort.

    Distribution de tout premier ordre

    Même si l'attention est en permanence retenue par cette Salomé exceptionnelle, on n'en oublie pas une distribution excellente. Au premier chef, le Jochanaan de Falk Struckmann, monolithique et visionnaire, à la projection phénoménale de métal, aux aigus mordants et jubilatoires.

    Chris Merritt est un Hérode dégénéré à souhait, bon à enfermer sinon valétudinaire, aussi inquiétant que sa belle-fille. Sans sombrer dans la caricature, le ténor américain dit le texte beaucoup plus qu'il ne le chante, et impressionne par son vibrato de fou et la laideur volontaire de son timbre de désaxé.

    Anja Silja apparaît par endroits un peu fatiguée - la voix est ruinée, le médium complètement livide - mais campe toujours une Hérodiade détraquée, inflexible et infecte, avec sa mâchoire carnassière, son rire démoniaque et ses aigus lancés tels des javelots meurtriers.

    Enfin, William Burden est un bon Narraboth, au timbre jeune, mais ouvre un peu les sons pour passer l'orchestre. Les rôles secondaires n'ont rien à envier aux précédents, particulièrement le page idéal de Michelle Breedt, et les cinq juifs, hystériques et monomaniaques.

    Lecture orchestrale dans le sillon de Böhm

    Dans la fosse, Conlon dessine des lignes idéalement galbées, avec juste ce qu'il faut d'acuité. A l'instar de Böhm, il rend Salomé captivante par sa fluidité, sa texture fuyante, prodiguant de nombreux moments de raffinement, exaltant particulièrement la richesse de l'orchestration du jeune Strauss, mettant en relief chaque nouveauté timbrique : chatoiements de la petite percussion, bispigliando de harpe, interventions du Heckelphone.

    Sa lecture est celle d'un cauchemar éveillé, presque lucide, à la lumière froide, très loin en tout cas de la noirceur étouffante d'un Karajan, animant au contraire un orchestre iridescent : flûte immaculée, presque sans vibrato, distillant mystère et sensualité, clarinette admirable de rondeur, percussion toujours en éveil et précise. Ne couvrant jamais le plateau, Conlon laisse les déflagrations pour les passages à orchestre seul et dose habilement la dynamique, jamais forcée, mais jamais sous nuancée non plus – Quintette des Juifs effréné, Danse des sept voiles à la gradation admirable.

    Scénographie néo-biblique

    Reste la scénographie, intelligente, sobre et efficace. Les décors – superbes – et costumes – plus contestables – très « néo-bibliques » de David Borovsky bénéficient d'un intéressant travail chromatique : fond de scène d'un vert-jaune devenant de plus en plus outré aux moments les plus intenses du drame, lune qui se déplace lentement, éclipsée à partir de la décollation, costumes des monarques d'un jaune criard qui reflète le délabrement de leur état mental.



    La mise en scène de Dodin, peut-être parfois trop axée sur le rôle-titre, retient l'attention par des trouvailles astucieuses : réduit à un simple objet de désir, Jochanaan, enfermé dans une haute cage coulissante dans le mur à jardin, ne fixe Salomé du regard qu'au moment de la maudire avec un air illuminé ; en transe après sa danse, la fille d'Hérodiade s'écroule nue sur scène, vite couverte par le peignoir jaune de sa mère, dont elle endosse en même temps la détermination à assassiner le prophète.

    Enfin, les éclairages de Jean Kalman, crus et blafards, toujours latéraux, donnent des visages de fous aux personnages et rendent bien la dégénérescence d'une cour moribonde.

    On l'aura compris, pour sa dernière année à la tête de l'Opéra de Paris, Hugues Gall aura frappé un grand coup avec sa Salomé incandescente, et déjà l'on s'arrache les billets pour les représentations restantes.


    Prochaines représentations le 29 septembre, et les 3, 7, 12, 15, et 18 octobre




    Opéra Bastille, Paris
    Le 26/09/2003
    Yannick MILLON

    Nouvelle production de Salomé de Richard Strauss à l'Opéra Bastille, Paris.
    Richard Strauss (1864-1949)
    Salomé, opéra en un acte
    Livret tiré du poème éponyme d'Oscar Wilde, traduit en allemand par Hedwig Lachmann

    Orchestre de l'Opéra national de Paris
    direction : James Conlon
    mise en scène : Lev Dodin
    décors et costumes : David Borovsky
    Ă©clairages : Jean Kalman
    chorégraphie : Jourii Vassilikov

    Avec :
    Karita Mattila (Salomé), Chris Merritt (Hérode), Anja Silja (Hérodiade), Falk Struckmann (Jochanaan), William Burden (Narraboth), Michelle Breedt (le page d'Hérodiade), Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (premier juif), Martin Kinke (deuxième juif), Scott Wyatt (troisième juif), Robert Wörle (quatrième juif), Ulrich Hielscher (cinquième juif), Stanislav Shvets (premier nazaréen), Mihajlo Arsenski (second nazaréen), Kristof Klorek (premier soldat), Scott Wilde (second soldat), Jean-Loup Pagesy (un cappadocien), Grzegory Staskiewicw (un esclave).

     


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