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CRITIQUES DE CONCERTS 19 avril 2024

Nouvelle production d'Ariane à Naxos de Richard Strauss mise en scène par Laurent Pelly à l'Opéra Garnier, Paris.

Intermittences de la vie d'artiste
© Eric Mahoudeau

L'Ariane de Richard Strauss entre au répertoire de l'Opéra de Paris dans les atours d'une modernité qui nous renvoie aux images d'une société ivre de plaisir, confrontée à la tragédie de la solitude et de l'abandon. Une soirée marquée par le triomphe du chant français, mais aussi par une mise en scène déjà controversée qui a divisé l'équipe d'Altamusica.
 

Palais Garnier, Paris
Le 21/11/2003
Françoise MALETTRA
 



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  • Au dĂ©but de l'annĂ©e 1911, Hugo von Hofmannstahl et Richard Strauss envisagent de dĂ©velopper ensemble un petit opĂ©ra de chambre qui porte le nom d'Ariane Ă  Naxos, dĂ©jĂ  donnĂ© en Ă©pilogue Ă  une reprĂ©sentation du Bourgeois Gentilhomme, qui mĂŞlait opĂ©ra bouffe et opera seria, hĂ©ros de la mythologie et personnages de la Commedia dell'arte. Cette parenthèse entre Le Chevalier Ă  la Rose et La femme sans ombre, deviendra un chef d'oeuvre en un prologue et un acte, Ă  la fois conte cruel et jeu de masques Ă  l'italienne, dont la modernitĂ© ne risquait pas d'Ă©chapper au public en cette fin d'annĂ©e 2003 fertile en turbulences, puisqu'il y est question des rapports de pouvoir, pour le moins autoritaires, entre les maĂ®tres-dĂ©cideurs et les artistes-saltimbanques.

    On y voit un riche mécène, faire savoir avec arrogance, par la voix de son majordome, que la comédie L'infidèle Zerbinette, et la tragédie lyrique Ariane à Naxos dont il est commanditaire, seront données simultanément afin que le spectacle soit terminé pour le feu d'artifice, fixé à 21 heures précises. La colère de la prima donna et le désespoir du compositeur seront vaincus grâce à l'intervention de la rusée Zerbinette qui réussit à leur faire accepter l'inacceptable.

    Mise en abyme et opéra dans l'opéra

    Et l'on assiste à un opéra dans l'opéra, à une mise en abyme où les protagonistes vont s'observer d'abord, puis se rapprocher, se mettre à nu, et s'éloigner, dans un jeu de miroirs à facettes multiples, où la bouffonnerie pénètre le drame en variations subtiles sur le thème de la fidélité d'Ariane à Thésée, son seul amour, et l'art de la séduction sans limites d'une Zerbinette qui n'entend pas renoncer à ses tentations.

    Des briques et du béton pour le palais du riche viennois, où dans le prologue tout ce petit monde s'agite dans une joyeuse hystérie, les ruines d'un chantier abandonné pour l'acte d'Ariane, dans un lieu oppressant, isolé au milieu de nulle part, et où l'on découvre la misérable créature gisant sur une couche plus que précaire : le choc est sévère et on ne se sent pas vraiment à la fête. D'autant qu'en renonçant à traiter la petite troupe italienne selon les codes de la Commedia dell'arte, Laurent Pelly transforme les protagonistes en vacanciers très club Med', dont les gesticulations n'échappent pas toujours à la vulgarité.

    Par bonheur, la musique de Richard Strauss est là, somptueuse, baroque, héroïque, d'une invention et d'un lyrisme à couper le souffle, remarquablement mise en beauté par l'orchestre de l'Opéra et son chef Pinchas Steinberg. Natalie Dessay est une Zerbinette follement endiablée, impertinente et érotique, mais qui donne au personnage une sincérité et une profondeur rarement ressenties. Oublié le méchant nodule sur une corde vocale qui l'avait éloignée quelque temps de la scène. La voix a gagné en densité et en sensualité, sans rien perdre de sa prodigieuse agilité.

    Sophie Koch en ardent compositeur

    En Arlequin, Stéphane Degout se révèle, vocalement et scéniquement, un partenaire d'une présence et d'une drôlerie formidables. Quant à Sophie Koch, son compositeur fait exactement penser aux affres du jeune Mozart de seize ans, composant Idoménée pour les cuistres de la cour de Munich. La générosité du timbre et la stabilité sans faille de la ligne de chant expriment à merveille les ardeurs de l'adolescence et l'accès de désespoir de l'artiste outragé.

    Aux côtés de Katarina Dalayman qui déploie toute l'ampleur de sa tessiture et un art du chant consommé pour traduire la splendeur des plaintes d'Ariane, le ténor Jon Villars est un Bacchus impressionnant. Ce colosse à la voix d'or est bien le dieu providentiel qui surgit devant l'infortunée princesse et auquel elle se donnera, le croyant le messager de la mort.

    En inventant le dialogue que l'on imaginait impossible entre l'opéra bouffe et l'opéra seria, Strauss et Hofmannstahl scellaient ici l'alliance idéale de l'opéra et du théâtre.







    Pas d'accord

    Le problème majeur de cette nouvelle Ariane parisienne réside dans les insuffisances de la mise en scène de Laurent Pelly. Autant le jeune Français sera toujours à l'aise et imaginatif dans le Buffa et l'action – épisodes des Italiens menés tambour battant et avec panache même si une fois encore victimes du syndrome Club Med, prologue qui sans être génial s'avère solide et bien mené – autant le Seria semble lui échapper complètement, comme en témoignent le début et la dernière demi-heure de l'opéra, complètement plombés et inertes, d'autant que la production croule sous l'indifférence d'un décor en béton proprement hideux et misérabiliste, un chantier en construction duquel émerge une Ariane clocharde bien peu crédible. Que l'on regrette déjà la géniale production de Krämer à Lyon et au Châtelet !

    La soirée est toutefois l'occasion de se délecter de trois grandes voix françaises : le compositeur de Sophie Koch, splendide de présence et d'aigu – magnifique hymne à la musique – auquel il ne manque qu'un médium à peine plus large et sonore pour rejoindre les plus grands, la géniale Zerbinette de Natalie Dessay, toutefois un rien moins souveraine qu'en 2001 à Salzbourg ou au disque, et l'excellent Harlekin de Stéphane Degout.

    Le reste de la distribution alterne excellence – les trois nymphes, les Italiens – et médiocrité : le Bacchus de Jon Villars, toujours aussi impressionnant par sa projection phénoménale, mais finalement au timbre guère séduisant et à la technique sommaire, comme l'illustrent les sons qui craquent immanquablement à la moindre tentative de chanter piano, ainsi que l'Ariane peu attrayante de Katarina Dalayman, dont les multiples tentatives de joliesses sont anéanties par un timbre à la fois terne et vert, et des aigus stridents et fatigants.

    Quant à la direction de Pinchas Steinberg, s'en tenant au minimum syndical, elle s'avère beaucoup trop fruste – forte appuyés et creux, multiples imprécisions rythmiques – et bâclée – tempo constamment trop rapide, lecture proche de la ligne droite – pour magnifier l'extraordinaire polyphonie et l'orchestration d'orfèvre du compositeur. Plus grave encore pour une prestation de fosse, elle ne laisse jamais aux chanteurs le temps de respirer, et les brusque constamment en les privant d'épanouissement vocal et de lyrisme, qui sont pourtant la condition sine qua non de la réussite d'une Ariane.


    Yannick Millon





    Palais Garnier, Paris
    Le 21/11/2003
    Françoise MALETTRA

    Nouvelle production d'Ariane à Naxos de Richard Strauss mise en scène par Laurent Pelly à l'Opéra Garnier, Paris.
    Richard Strauss (1864-1949)
    Ariane à Naxos, opéra en un prologue et un acte
    Version de 1916
    Livret de Hugo von Hofmannsthal

    Orchestre de l'Opéra national de Paris
    direction : Pinchas Steinberg
    mise en scène et costumes : Laurent Pelly
    décors : Chantal Thomas
    éclairages : Joël Adam

    Avec :
    Waldemar Kmentt (le Majordome), David Wilson-Johnson (un Maître de musique), Sophie Koch (le Compositeur), Jon Villars (le Ténor / Bacchus), Mihajlo Arsenski (un officier), Graham Clark (un Maître à danser), Sergei Stilmachenko (un perruquier), Yuri Kissin (un laquais), Natalie Dessay (Zerbinetta), Katarina Dalayman (Primadonna / Ariane), Henriette Blonde-Hansen (Naïade), Svetlana Lifar (Dryade), Sine Bundgaard (Echo), Stéphane Degout (Harlekin), Norbert Ernst (Brighella), Daniel Norman (Scaramuccio), Alexander Vinogradov (Truffaldin).

     


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