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CRITIQUES DE CONCERTS 08 octobre 2024

Création mondiale de l'Espace dernier de Matthias Pintscher à l'Opéra Bastille, Paris.

Opéra sans opéra
© Eric Mahoudeau

Malgré quelques contestations bien senties, la création de l'opéra (qui n'en est pas un !) du compositeur allemand Matthias Pintscher, l'Espace dernier, inspiré de l'univers poétique d'Arthur Rimbaud, n'aura pas mis vraiment le feu aux poudres de Bastille. Pire, il aura laissé le public tétanisé par une production qui manifestement s'était trompée d'adresse.
 

Opéra Bastille, Paris
Le 23/02/2004
Françoise MALETTRA
 



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  • La commande passĂ©e Ă  Matthias Pintscher Ă©tait-elle vraiment celle d'un opĂ©ra ? On peut raisonnablement en douter, ou alors le jeune compositeur allemand de 33 ans avait dĂ©libĂ©rĂ©ment choisi de l'ignorer. Le spectacle auquel il nous a Ă©tĂ© donnĂ© d'assister tient plus en effet du théâtre musical expĂ©rimental, conçu comme il se doit Ă  partir des moyens techniques très sophistiquĂ©s offerts aujourd'hui aux crĂ©ateurs, ou d'une mise en espace faussement dĂ©lirante destinĂ©e Ă  faire Ă©crin Ă  la parole de Rimbaud, au-delĂ  ou presque de toute rĂ©fĂ©rence narrative ou biographique. Pendant 105 minutes, le temps est aboli, figĂ©. Il est celui d'un homme, parvenu au bout de tous ses voyages, et qui reste encore en Ă©tat de partance permanent, un homme qui ne partira plus, et qui va mourir.

    Mais voilà, l'univers rimbaldien ne nous est pas livré. Fractionné, atomisé, prisonnier du cri et d'une gesticulation plus que lassante, il est resté la vision incommunicable d'un musicien indiscutablement habité par l'oeuvre du poète depuis longtemps, puisque l'Espace dernier y revient dans une forme plus ambitieuse, après plusieurs pièces de musique de chambre vocales et instrumentales qui déjà y faisaient référence.

    Sur scène, le dispositif aggrave la situation : deux énormes demi-cylindres noirs en mouvement sur lesquels s'inscrivent à la craie ou en images projetées des lambeaux de textes de Rimbaud, de ses proches, ou des extraits du journal de sa soeur Vitalie, qui, proférés, chantés, se télescopent, relayés par les voix des solistes ou le choeur de femmes dans une vaste rumeur d'où émergent un mot, un nom, répétés jusqu'à l'obsession, et qui aboutit à une déperdition du sens et de l'intelligibilité.



    Ce qui va se transmettre à l'auditeur, prévient Matthias Pintscher, est pour moi une énigme. Les textes de Rimbaud doivent être compris comme la déchirure d'un horizon qui devient brièvement visible, mais demeure inatteignable. Message reçu par le public qui n'apprécie pas outre mesure. Et pourtant, le compositeur bénéficiait de la présence d'interprètes de premier ordre, si l'on excepte le Rimbaud franchement peu convaincant du comédien-danseur Jean Sasportes.

    Les seize choristes féminines d'Accentus, tantôt implorantes, tantôt en appelant à une tragédie annoncée, sont d'une qualité vocale et scénique qui sauvent en partie le spectacle, au même titre que parmi les solistes la soprano américaine Jeanne-Michèle Charbonnet, le ténor anglais Graham Clark et le baryton israélien Gidon Saks. A la tête de l'orchestre de l'Opéra, dont l'engagement est total – mais il est vrai que le meilleur de la partition lui appartenait –, le chef canadien Kwané Ryan est la révélation de la soirée, ajoutant à une maîtrise impressionnante de la complexité des événements sur le plateau, une gestique généreuse, d'une efficacité confondante.

    Quoi qu'il en soit, encore un prétendu opéra qui n'en est pas un, mais que la musique contemporaine dispose de tels serviteurs permet d'espérer des jours meilleurs.




    Opéra Bastille, Paris
    Le 23/02/2004
    Françoise MALETTRA

    Création mondiale de l'Espace dernier de Matthias Pintscher à l'Opéra Bastille, Paris.
    Matthias Pintscher (*1971)
    L'Espace dernier, Musiktheater en quatre parties autour de l'oeuvre et de la vie d'Arthur Rimbaud
    Livret du compositeur
    Commande de l'Opéra national de Paris
    Création mondiale

    Choeur Accentus
    direction : Laurence Equilbey
    Orchestre de l'Opéra National de Paris
    direction musicale : Kwané Ryan
    mise en scène, décors et éclairages : Michael Simon
    chorégraphie : Ron Thornhill
    costumes : Anna Eiermann
    plasticien / réalisateur vidéo : Dominik Rinnhofe
    Assistant à la direction musicale et direction du troisième groupe d'orchestre : Alejo Perez

    Avec :
    Jeanne-Michèle Charbonnet (soprano dramatique), Elisabeth Keusch (soprano spinto), Iride Martinez (soprano lyrique), Gidon Saks (baryton basse), Graham Clark (ténor spinto), Anne Bennent, Jean Sasportes (comédiens).

     


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