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CRITIQUES DE CONCERTS |
10 décembre 2024 |
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Concert de l'Orchestre de Paris sous la direction de Christoph Eschenbach, avec la participation de la violoncelliste Han-Na Chang, au théâtre Mogador, Paris.
Docteurs es changements de disquette
Christoph Eschenbach et l'orchestre de Paris se montrent décidément très en forme ces temps-ci. Dans un programme long et varié presque à l'excès, ils auront démontré leur habileté à alterner genres et styles avec maestria. Un orchestre et son chef promus au rang de « Docteurs es changements de disquette ».
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Pour commencer, une curiosité, le Gaspard de la Nuit de Ravel dans l'orchestration de Marius Constant. L'auteur du Boléro était l'excellent orchestrateur que l'on sait, et le travail de son compatriote, honorable, n'atteint jamais le même degré de sensualité sonore, la même maîtrise absolue des timbres – abus du xylophone entre autre. L'Orchestre de Paris, pas encore réveillé à cent pour cent, a du mal à trouver ses marques dans un ostinato pas vraiment au point dans Le Gibet, mais traduit bien la profusion de couleurs de Scarbo. Exercice intéressant, même si l'on préfèrera toujours de loin la version pianistique, plus âpre et – étrangement – colorée.
Changement de monde musical ensuite avec la Symphonie concertante de Prokofiev hallucinée de la violoncelliste Han-Na Chang. L'âpreté et l'engagement physique qui faisaient défaut à Truls Mørk dans le 2e concerto de Chostakovitch en février dernier sautent ici à la gorge. Et même si la Coréenne ne joue pas toujours très juste, son engagement viscéral s'avère captivant. Virtuosité échevelée, jeu tendu à rompre, engagement dramatique total, Han-Na Chang joue comme si sa vie en dépendait, et rappelle les immenses prestations soviétiques du « Rostro » des années 1960 et 1970. Simple resucée du Concerto pour violoncelle op. 58, l'oeuvre est longue, bavarde, boursouflée et pour le moins décousue, mais demeure supportable lorsqu'elle est abordée par d'aussi ardents défenseurs. Car Eschenbach et l'Orchestre de Paris sont au moins aussi possédés par cette pièce démente que leur violoncelliste.
Passé l'entracte, retour fugace à Ravel avec une sanguine Alborada del Gracioso, toute d'éclat et saturée de soleil, où des tutti irradiants de couleur alternent avec des épisodes solo brillamment assurés – la clarinette. Une prestation prometteuse quand on sait qu'une anthologie Ravel-Orchestre de Paris-Eschenbach est en préparation chez le label discographique Ondine.
Enfin, brillantissime fin de concert avec un Zarathoustra d'anthologie, suprêmement contrasté, urgent et conduit sans relâche. Dans la célèbre introduction « kubrickienne », Eschenbach rappelle Karajan et son sens de la monumentalité, dosant chaque coup de cymbale, chaque attaque de cordes et chaque affirmation de trompette avec une majesté confondante. Dans les passages plus calmes ou tendres, le chef allemand privilégie l'avancée à l'alanguissement grâce à une pulsation toujours perceptible et un geste éloquent. Et que l'Orchestre de Paris fait montre d'éclat, de beauté de son et de classe – la trompette notamment. Un violon solo chevrotant à la justesse chaotique n'aura que peu d'incidence sur le résultat final, absolument admirable, jusque dans une conclusion en point d'interrogation on ne peut plus ouverte, encore dans une urgence qui frôle toutefois souvent la fébrilité.
Un concert sans doute trop long et bizarrement ficelé mais réjouissant, démontrant l'habileté de l'Orchestre de Paris et Eschenbach à alterner genres et styles sans temps mort ou période d'acclimatation, preuve qu'à Mogador, la maîtrise des changements de disquette est parfaitement au point.
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Théâtre Mogador, Paris Le 07/04/2004 Yannick MILLON |
| Concert de l'Orchestre de Paris sous la direction de Christoph Eschenbach, avec la participation de la violoncelliste Han-Na Chang, au théâtre Mogador, Paris. | Maurice Ravel (1875-1937)
Gaspard de la nuit (1908)
Orchestration de Marius Constant (1990)
Serge Prokofiev (1891-1953)
Symphonie concertante pour violoncelle et orchestre, op. 125 (1952)
Han-Na Chang, violoncelle
Maurice Ravel (1875-1937)
Alborada del Gracioso (1918)
Richard Strauss (1864-1949)
Ainsi parlait Zarathoustra, poème symphonique librement adapté d'après Friedrich Nietzsche, op. 30 (1896)
Orchestre de Paris
direction : Christoph Eschenbach | |
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