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CRITIQUES DE CONCERTS |
05 octobre 2024 |
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Reprise de l'Alcina de Haendel mise en scène par Robert Carsen au Palais Garnier, Paris.
L'ombre d'Alcina
Veselina Kasarova (Ruggiero) et Toby Spence (Oronte).
Reprise d'Alcina de Haendel au Palais Garnier, dans la si poétique production de Robert Carsen. Les chanteurs doivent se mesurer au souvenir d'un quatuor vocal magique (Fleming, Dessay, Graham et Kuhlmann) qu'ils n'égalent que partiellement. Sans parler d'un Ensemble Orchestral de Paris qui succède aux Arts Florissants, choix qui n'a pas manqué de susciter quelques interrogations.
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Palais Garnier, Paris
Le 13/05/2004
Yutha TEP
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Autant pour une éventuelle polémique « modernes versus anciens » : si l'on perd quelque peu en transparence, les cordes en métal de l'Ensemble Orchestral de Paris ont au moins le mérite d'apporter un surcroît de présence sonore – les Arts Florissants avaient paru, à la création en 1999, quelque peu étriqués. Le problème est plus spécifiquement stylistique : dès l'ouverture, on se prend à rêver à des articulations plus saillantes, à un continuo plus bondissant, ou tout simplement et pour être franc, moins lourd. Et surtout, on se dit que, malgré le soutien attentif de John Nelson, le diapason à 415 aurait peut-être rendu le chant moins « sportif » pour certaines des protagonistes du drame, déjà confrontées à des souvenirs illustres, Luba Orgonasova en tête.
Ses moyens en Alcina correspondent sur le papier aux exigences d'un rôle qu'elle connaît bien, mais la perplexité s'installe à l'écoute de la tension qui affecte ses aigus, et à l'imprécision générale de l'intonation. Faute de sérénité vocale, l'incarnation reste prosaïque, la chanteuse ne retrouvant une certaine dignité qu'à partir d'un O mio cor, Ombre pallide déployant pour sa part des vocalises assurées. Fleming, stylistiquement exotique, imposait une tout autre somptuosité de timbre et de présence.
Peut-être soucieuse de se plier à une certaine idée du bel canto baroque, Veselina Kasarova semble lutter constamment contre sa nature volcanique, et s'avère rythmiquement très incertaine, quelconque dans Verdi prati – certes guère facilité par la justesse douteuse de l'orchestre – n'ouvrant les vannes que pour un dévastateur Sta nell'Ircana. Si Graham était débordée par la virtuosité du rôle, du moins son chant galbé rendait-il justice à un Ruggiero très largement élégiaque.
Bradamante est un rôle psychologiquement monochrome, et les exercices pyrotechniques n'effraient guère Vivica Genaux – Vorrei vendicarmi enlevé avec un aplomb époustouflant – mais le timbre est glacial. Du moins porte-t-elle le travesti avec une élégance rare. Kathleen Kuhlmann était moins impressionnante, sa Bradamante frémissait cependant d'une toute autre vie. Toby Spence en Oronte et Luca Pisaroni en Melisso apportent quant à eux une contribution honorable au plateau.
Au final, seule Patrizia Ciofi en Morgana lutte avec un certain succès contre l'ombre de Natalie Dessay. Elle aussi soumise à rude épreuve dans les aigus, la soprano italienne aura toutefois parfaitement réussi à différencier ses airs, espiègle dans Tornami a vagheggiar, tendrement suppliante dans Ama, sospira – où elle réussit, dans la cadence, à peu près le seul trille bien exécuté de la soirée – ensorcelante de demi-teintes dans Credete al mio dolor. C'est bien elle la grande triomphatrice de la soirée.
Reste la mise en scène de Robert Carsen, dont certaines options sont discutables, comme celle qui relègue Morgana au rang de soubrette, elle qui est tout de même la soeur d'Alcina – au passage, notons qu'Oberto est passé à la trappe – ou même le suicide d'Alcina, qui contredit un peu brutalement la féerie générale. Mais comment rester insensible à la simple beauté plastique de certains tableaux – l'apparition d'Alcina sur fond de forêt verdoyante, la cour de ses soupirants subjugués se mouvant comme au ralenti – ou à l'efficacité dans la chute progressive de la magicienne – lumières sinistrement annonciatrices de Jean Kalman ? On a souvent reproché à Robert Carsen d'être plus scénographe que metteur en scène – il peine d'ailleurs un peu à dompter le grand plateau de Garnier – mais on baisse ici les armes devant son instinct esthétique. Cette magie que le chant n'a pas su transmettre, la mise en scène l'a parfaitement restituée.
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