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CRITIQUES DE CONCERTS |
10 décembre 2024 |
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Reprise de la Damnation de Faust de Berlioz mise en scène par Robert Lepage à l'Opéra Bastille, Paris.
Damnation par l'image
Pour sa reprise à Bastille, la Damnation de Faust imaginée par le Canadien Robert Lepage confirme les idées judicieuses de sa mise en scène tout entière dédiée au pouvoir de l'image et propose un plateau honorable sinon exceptionnel, malheureusement desservi par la baguette atone de Mark Elder.
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On le sait, c'est une gageure de porter la Damnation sur les planches. L'ingénieux dispositif scénique imaginé par Robert Lepage, qui fait la part belle à la vidéo, plonge le spectateur dans le pouvoir de l'image, en ne conservant de la profondeur du plateau de Bastille que le proscénium – pour le plus grand confort des chanteurs. Immense toile sur laquelle défilent des images, et où des trappes s'ouvrent tour à tour, le décor en trompe-l'œil égare le spectateur entre réel et virtuel, dans cet exercice qui traduit bien le monde fantasmagorique du héros goethéen, comme si à trop se plonger des heures durant dans les ouvrages d'une bibliothèque, on finissait par se déconnecter du réel, à l'image du travelling initial qui nous plonge pendant la courte introduction instrumentale au coeur des divagations faustiennes.
Quelques tableaux sont particulièrement réussis, tel le mur de flammes qui embrase l'air de Marguerite au IV, le ballet aquatique des sylphes au II, ou la vision d'une forêt mouvante dans l'Invocation à la nature de Faust. L'imagination avec laquelle sont envisagés les changements de tableaux, d'ordinaire si problématiques, vaut un bon coup de chapeau. Ainsi de la descente dans la taverne d'Auerbach. Du reste, la mise en scène de Lepage a quelque chose de claustrophobe, et traduit bien l'enfermement du héros, son manque d'échappatoire. L'œil n'a guère le temps de se reposer, et cette conception résoud bien les problèmes d'une « légende dramatique » berliozienne assez hybride de forme. Et rien que pour cela, cette reprise vaut largement le détour.
Côté musique, le succès est moindre. Le beau Faust de Paul Groves, rêveur et idéaliste, à l'élocution très travaillée, à l'aigu rayonnant, domine la distribution. Jennifer Larmore, dont on connaît le tempérament volcanique, se surveille tant que sa Marguerite paraît relativement froide, beaucoup plus émouvante dans D'amour l'ardente flamme, auquel elle imprime un crescendo dramatique bienvenu, que dans une Chanson de Thulé bien neutre. Quant à Samuel Ramey, son format trop large et son élocution pâteuse – débit laborieux et virtuosité bien mise à mal – en font plus le Méphisto de Boïto que de Berlioz, malgré une noirceur de timbre et un grain légèrement rocailleux qui pourraient emporter l'adhésion si son français n'était aussi exotique.
Le gros point noir de cette reprise reste la direction au Lexomil de Mark Elder, aux antipodes de l'élan impétueux et de l'exaltation fiévreuse que demande la partition. Dans des tempi lentissimes asphyxiant les chanteurs comme les choeurs, la partition défile au ralenti. On en atteint parfois le grotesque – une Sérénade de Méphisto désossée – ou l'intenable – Course à l'abîme transformée en trot de bourricot apathique ; Marche hongroise lourdingue et prussienne ; fin de troisième acte complètement plombée. L'opposé du génial Ozawa qui avait inauguré cette production en 2001.
On ira donc, une fois n'est pas coutume et malgré une distribution honnête, à l'opéra plus pour y voir que pour y entendre !
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