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CRITIQUES DE CONCERTS 28 mars 2024

Concerts de l'Orchestre philharmonique de Vienne sous la direction de Valery Gergiev au festival de Lucerne 2004.

Lucerne 2004 (4) :
Le goût du risque

© Festival de Lucerne

Trois concerts événements en trois jours à Lucerne par les Wiener Philharmoniker et Valery Gergiev, voilà de quoi clore un riche été musical en beauté. Et l'on aura été servi, avec une 11e de Chostakovitch incendiaire, une 5e de Tchaikovski époustouflante, mais surtout une Pathétique du même Tchaikovski absolument démentielle.
 

Konzertsaal, Kultur- und Kongresszentrum, Luzern
Le 08/09/2004
Yannick MILLON
 



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  • Gergiev-Vienne, on connaît bien l'alchimie particulière entre le chef russe et l'orchestre autrichien, qui semblent s'entendre comme larrons en foire. Voilà de quoi rassasier le plus affamé des mélomanes et amateurs de grand frisson symphonique.

    6 septembre

    Un peu de Wagner d'abord, avec une Ouverture et Bacchanale de Tannhäuser orgiaque, une Chevauchée des Walkyries très enlevée, qui fait la part belle à des cordes tourbillonnantes, et une Marche funèbre du Crépuscule des Dieux implacable, héroïque et grandiose, qui s'achève dans le recueillement d'un dernier accord très allongé. Déjà de la belle ouvrage.

    Mais on attendait surtout Gergiev dans la deuxième partie, dédiée à la 11e symphonie de Chostakovitch, qui s'insère à merveille dans la thématique « la Liberté Â» du festival de Lucerne 2004. Dans cette vaste fresque sur la Révolution de 1905, le chef russe agit en sorcier des sons. L'Adagio initial, qui peint la place du palais la nuit, traduit d'emblée par un tempo impatient un climat électrique à l'opposé du calme inquiétant qu'y fait régner Haitink, et l'on sent déjà grouiller au loin la rumeur du peuple, véritable anticipation du mouvement suivant.

    Décrivant la révolte elle-même de manière on ne peut plus picturale, ce dernier fait froid dans le dos, et emporte tout sur son passage, dans un tempo très cursif. L'assaut de l'armée avec son déluge de percussions, loin de toute massivité, joue le jeu d'une onde sismique horizontale, à la manière de Mravinski. Dans un silence de salle absolu, on retient son souffle devant les pizz introductifs paralysants de In Memoriam, qui laissent ensuite s'épancher la sobre tristesse d'un chant d'altos magnifique d'intériorité. Dans le Tocsin final, Gergiev embarque les Viennois dans une frénésie tout à fait contrôlée et les chocs de timbre d'une percussion déchaînée. Une 11e vécue beaucoup plus aux tréfonds des tripes qu'à travers la pellicule du cinéaste.


    7 septembre

    Après un superbe 3e concerto de Rachmaninov par Yefim Bronfman, au magnifique toucher délicat dans le thème introductif, à l'ampleur sonore typiquement russe dans les forte, Gergiev s'attaque de nouveau à la 5e de Tchaïkovski, dont la prestation avec les mêmes Viennois à Salzbourg en 1998 – documentée par un CD Philips – avait enthousiasmé une salle en délire. En six ans, la conception a évolué vers une prise de risques supplémentaire et des allegros littéralement cravachés. L'orchestre, à la fête, renouvelle sa prestation salzbourgeoise, et prodigue des moments magiques – bouleversant mouvement lent avec le solo de cor crépusculaire et idéalement nostalgique du génial Wolfgang Tomböck ; sublime tapis de cordes, dense, chaud et lumineux.

    L'enthousiasme est tel que, fait rarissime, l'orchestre donne un bis, une Niko Polka de Strauss rapidissime et sautillante. Et transition toute naturelle est faite pour la première partie du troisième et dernier concert, consacrée aux oeuvres de la période de St Pétersbourg du roi de la valse.


    8 septembre

    Gergiev sait se faire léger, et dirige sur la pointe des pieds avec une délicatesse étonnante polka comme valse, mais sa manière de privilégier toujours l'avancée et une agogique toute droite laisse un peu l'auditeur sur sa faim et en manque de rubato expressif. Une curieuse orchestration de Chostakovitch de la polka rapide Vergnügungszug, très Tea for Two, fait la transition avec la suite.

    Lauréate du « Credit Suisse Group Young Artist Award Â», la toute jeune violoncelliste argentine Sol Gabetta n'a vraiment pas froid aux yeux. La personnalité est attachante, la technique inébranlable, l'intonation parfaite, et le goût du risque aussi prononcé que chez le chef qui l'accompagne, car choisir l'hermétique 2e concerto pour violoncelle de Chostakovitch pour un « concert de gala Â» apparaît comme un refus de la facilité chez une jeune artiste très talentueuse.

    © Festival de Lucerne

    Pour terminer un concert fort long, une expérience musicale comme on en vit si peu à notre époque, avec une Pathétique de Tchaïkovski qui sonne comme une véritable gifle musicale. Gergiev s'y montre absolument déchaîné dans un Allegro vivo central de premier mouvement halluciné, un Allegro con grazia valsé à 5/4 maniaco-dépressif, rapide jusqu'à la déstabilisation, tout sauf détendu ou mélancolique, pour ne rien dire d'un troisième mouvement au tempo complètement fou, qui pousse les Viennois dans leurs derniers retranchements en une course à l'abîme. Pareille virtuosité échevelée, jusqu'à la nausée, pareille folie furieuse peuvent incommoder, et notre voisin de droite, visiblement au bord de la crise de nerfs, a besoin de sortir de la salle alors que fusent des tonnerres d'applaudissements, qui n'empêchent pas Gergiev d'enchaîner instantanément et dans le tumulte un dernier mouvement quasi insoutenable. Ni Adagio ni lamentoso, le Finale, thrène à l'incommensurable intensité, prend l'auditeur à la gorge.

    Des cris, du sang, de la sueur et des larmes

    Loin de tout accablement, le chef russe défend une conception écorché-vif, au discours heurté, aux cordes tendues à rompre, et ménage de suffocants points d'arrêts sur les tenues piano entre les différents épisodes. Dans un tempo délirant, Gergiev conduit l'orchestre à une vision d'apocalypse sur le climax et les sonorités macabres des cors bouchés, et sans répit conduit une descente aux enfers implacable, sans espoir de rémission. La rythmique obstinée des cordes graves, étouffantes, ne cède jamais dans le diminuendo. Et le silence interminable imposé par le chef après la cessation du son participe pleinement d'une lecture qui exige des nerfs solides.

    Cette conception hautement dérangeante, véritable recréation sonore, en aura sans doute choqué plus d'un, dans le climat musical d'un début de XXIe siècle fait de mesure, de recherche d'équilibre, de prudente musicologie. Mais Gergiev est de la race des démiurges, des Furtwängler ou Svetlanov, capables à travers une kyrielle d'excès, de dérogations à la tradition et de considérables prises de risques, d'éclairer de manière radicale et éminemment personnelle les chefs-d'oeuvre du répertoire symphonique qu'on croit si bien connaître. Et du propre aveu du chef russe, la prise d'otages terminée en carnage qui a frappé son Ossétie natale n'était pas étrangère à la brûlante acuité de ces concerts lucernois qui n'auront laissé personne indifférent.




    Konzertsaal, Kultur- und Kongresszentrum, Luzern
    Le 08/09/2004
    Yannick MILLON

    Concerts de l'Orchestre philharmonique de Vienne sous la direction de Valery Gergiev au festival de Lucerne 2004.
    6 septembre
    Richard Wagner (1813-1883)
    Ouverture et Bacchanale de Tannhäuser (1861)
    Chevauchée des Walkyries (extraite du IIIe acte de La Walkyrie) (1856)
    Marche funèbre de Siegfried (extraite de Crépuscule des Dieux) (1874)

    Dimitri Chostakovitch (1906-1975)
    Symphonie n° 11 en sol mineur, op. 103, « l'Année 1905 Â» (1957)

    7 septembre
    Sergei Rachmaninov (1873-1943)
    Concerto pour piano n° 3 en ré mineur, op. 30 (1909)
    Yefim Bronfman, piano

    Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893)
    Symphonie n° 5 en mi mineur, op. 64 (1888)

    8 septembre
    Johann Strauss (fils) (1825-1899)
    Marche perse, op. 289 (1865)
    Polka du Champagne, op. 211 (1858)
    Krönungslieder, valse op. 184 (1857)
    Train de plaisir, polka schnell op. 281 (1864) (orchestration de Dimitri Chostakovitch)

    Dimitri Chostakovitch (1906-1975)
    Concerto pour violoncelle et orchestre n° 2, op. 126 (1966)
    Sol Gabetta, violoncelle

    Piotr Ilitch Tchaikovski (1840-1893)
    Symphonie n° 6 en si mineur, op. 74, « Pathétique Â» (1893)

    Wiener Philharmoniker
    direction : Valery Gergiev

     


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