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CRITIQUES DE CONCERTS |
09 septembre 2024 |
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Un chef-d'oeuvre de l'ampleur de la 9e de Beethoven sait se passer d'une première partie. Mais à Mogador, pour le concert de rentrée de l'Orchestre de Paris, Eschenbach avait programmé Rendering de Schubert-Berio, exercice pas vraiment passionnant du compositeur des Sequenze qui intercale au milieu des esquisses de la 10e de Schubert des transitions de son cru, avec force klangfarbenmelodie et un célesta allochtone. Cela dit, la légèreté de touche et la variété des éclairages proposés par Eschenbach et les Parisiens retiennent l'attention. Mais passons sur cet hybride dont le seul mérite est de jalonner de pancartes les trous de la partition inachevée.
Dans Beethoven, Eschenbach, à mille lieues des recherches stylistiques du renouveau baroque, joue la monumentalité à la manière de Böhm, avec des effectifs chargés à bloc – huit contrebasses, les bois doublés comme il se doit, un choeur de cent vingt participants –, une pâte sonore brahmsienne et des phrasés de cordes pleins et charnus. Impressionnants et marmoréens, les deux premiers mouvements souffrent seulement, en dépit d'attaques franches et pleines de vigueur, d'une longueur d'archet excessive et un rien encombrante dans les fins de phrases. L'Allegro ma non troppo initial, accentuant le poco en molto maestoso, se focalise sur un climax absolument effrayant, aux timbales furieuses, le Scherzo, très rigoureux dans sa mesure, sur une énergie roborative et des coups de cravache lapidaires. Même le Trio, très rapide, ne laisse guère à l'auditeur le temps de reprendre son souffle.
Un mouvement lent brucknéro-mahlérien
A condition d'en supporter le permanent rubato, le mouvement lent s'avère un magnifique moment de poésie crépusculaire, entre Bruckner et Mahler, avec des cordes chaleureuses, très legato, et une dilution dans la lenteur assez typique d'Eschenbach. Le Finale, pont aux ânes de tous les chefs d'orchestre, démarre mal et ne parvient pas à instaurer une continuité dans les citations des mouvements précédents, mais dès l'énoncé de l'hymne à la joie par les seules cordes en canon, le climat change et l'on se laisse gagner par le flot dramatique.
Eschenbach surprend beaucoup par l'urgence impressionnante et le tempo haletant qu'il imprime à des épisodes chantés menés tambour battant, embarquant choeurs comme solistes dans une véritable exultation finale, en un Prestissimo très contrôlé, coda triomphale au dernier accord légèrement trop retenu. On pardonnera ce soir à l'Orchestre de Paris certaines imprécisions d'intonation, au regard de la température de fournaise d'une salle archi-comble.
Plateau de solistes indigent
Reste le point noir de la soirée, un quatuor de solistes absolument indigent – une Eva Mei étranglée, un Andreas Schmidt délabré, bramant péniblement d'abominables aigus. La programmation vocale de l'Orchestre de Paris, une fois encore défaillante, reste le vrai point faible des concerts à Mogador. Heureusement, le Choeur de l'Orchestre de Paris se montre sous un jour meilleur, et fait étal d'une jolie couleur d'ensemble, en dépit de départs masculins hésitants et d'une dynamique parfois éteinte, qui peine à passer un orchestre très fourni.
Enfin, des Gremlins semblent s'être introduits dans la console d'éclairage pour faire joujou avec le potentiomètre sur la musique, soulignant chaque nuance par une luminosité différente. La captation télé demandait-elle vraiment ce genre de gadget ?
Quelques avatars comme la 9e en connaît toujours – quel chef depuis Furtwängler et Fricsay en a véritablement réussi le Finale ? – mais une rentrée en fanfare pour un Orchestre de Paris qui laisse augurer une bien belle saison.
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Théâtre Mogador, Paris Le 29/09/2004 Yannick MILLON |
| Concert de rentrée et début de l'intégrale Beethoven de l'Orchestre de Paris sous la direction de Christoph Eschenbach au Théâtre Mogador, Paris. | Franz Schubert (1797-1828)
Luciano Berio (1925-2003)
Rendering, d'après les esquisses de Schubert pour sa Dixième symphonie (1990)
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Symphonie n°9 en ré mineur, op. 125 (1824)
Eva Mei, soprano
Nora Gubisch, mezzo-soprano
Robert Dean Smith, ténor
Andreas Schmidt, basse
Choeur de l'Orchestre de Paris
direction : Didier Bouture et Geoffroy Jourdain
Orchestre de Paris
direction : Christoph Eschenbach | |
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