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CRITIQUES DE CONCERTS |
08 septembre 2024 |
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Nous ne nous attarderons guère sur la mise en scène de Laurent Pelly, déjà abondamment commentée dans ces colonnes l'an passé à l'occasion de la première. Le spectacle pâtit toujours des mêmes lacunes : laideur de la scénographie, direction d'acteurs scolaire, vacuité d'idées. Une Ariane tramp-lady squatte un décor en béton armé rien moins que poétique, elle y meurt finalement abandonnée et non métamorphosée, et comme rien d'autre dans la mise en scène ne donne de clefs, on peine à voir où Pelly veut en venir. Du reste, même le jeu de scène des soupirants de Zerbinette fait soupirer tant il a déjà vieilli, pour ne rien dire d'un duo Ariane-Bacchus en version de concert.
L'an passé, la production souffrait de la battue fruste de Pinchas Steinberg, qui privait la partie orchestrale de toute subtilité et le plateau de toute respiration. Excès inverse pourrait-on dire cette année, avec la direction micro-nuancée, le raffinement presque maniériste du jeune Philippe Jordan. Si l'harmonium, zélé, émerge par trop de la fosse, les cordes sont presque inaudibles à mi-salle. La lecture du chef suisse, peut-être intéressante dans une salle à taille humaine, est ici difficile à défendre. Toute la soirée durant, un hiatus règne entre son geste, généreux et suggérant une pâte sonore ample, et le son qui sort de la fosse, terne et étriqué.
Mais la salle ne fait pas tout. Le prologue, sans théâtre, manque de réactivité à l'orchestre, et ne décolle jamais. Si, au début de l'opéra, les subtilités minimalistes du chef peuvent se justifier, on reste sceptique devant une Bacchanale vidée de tout excès et une scène finale complètement dénervée, dégrisée, frustrante à force de précaution.
Le compositeur idéal de Sophie Koch
Du reste, l'impact du plateau en est considérablement amoindri. Le prologue voit toujours le triomphe du Compositeur idéal de Sophie Koch, encore plus engagé, rayonnant et en plénitude vocale que la saison passée – des aigus solaires et resplendissants, dardés sans effort. La mezzo française est assurément l'étoile de la soirée. On retiendra aussi le bon maître à danser du jeune Xavier Mas, plus lyrique-léger que véritablement de caractère, mais on oubliera bien vite le Maître de musique sans relief d'Olaf Bär, ou le Majordome « Carabosse » de Graham Valentine, caricatural et nasillard.
Dans l'Opéra, Solveig Kringelborn, trop bridée par le chef, se perd en pianissimi détimbrés qui privent son Ariane de toute aura, et laisse une impression de blancheur malgré un matériau de très belle qualité. La Zerbinette de Lubov Petrova, mutine en scène, déçoit vocalement. L'émission est souvent serrée, et les contre-ré au jus de citron et intonés trop haut. L'entrée du Bacchus tonitruant de Jon Villars secoue la léthargie du spectateur, frappé par sa projection phénoménale, même si les si aigus craquent tout autant que l'année dernière. Que Philippe Jordan arrive à lui arracher quelques piano n'est pas le moindre de ses mérites. Les bouffons, très convaincants, et les trois nymphes, honorables, n'empêcheront pas la malheureuse Ariane de rester seule sur son rocher, abandonnée par un orchestre absent.
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Opéra Bastille, Paris Le 26/10/2004 Yannick MILLON |
| Reprise de l'Ariane à Naxos de Richard Strauss mise en scène par Laurent Pelly, sous la direction de Philippe Jordan à l'Opéra Bastille, Paris. | Richard Strauss (1864-1949)
Ariadne auf Naxos, opéra en un acte et un prologue
Livret de Hugo von Hofmannsthal
Orchestre de l'Opéra national de Paris
direction : Philippe Jordan
mise en scène et costumes : Laurent Pelly
décors : Chantal Thomas
éclairages : Joël Adam
dramaturgie : Agathe MĂ©linand
Avec :
Solveig Kringelborn (Primadonna / Ariane), Jon Villars (Le Ténor / Bacchus), Lubov Petrova (Zerbinetta), Sophie Koch (Le Compositeur), Stéphane Degout (Harlekin), Ales Briscein (Brighella), Daniel Norman (Scaramuccio), Alexander Vinogradov (Truffaldino), Ekaterina Siurina (Naïade), Svetlana Lifar (Dryade), Sine Bundgaard (Echo), Olaf Bär (le Maître de musique), Xavier Mas (le Maître à danser), Graham F. Valentine (le Majordome), Yuri Kissin (un laquais), Walter Zeh (un perruquier), Mihajlo Arsenski (un officier). | |
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