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CRITIQUES DE CONCERTS |
11 décembre 2024 |
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Jephta de Haendel par Opera Fuoco sous la direction de David Stern dans le cadre du Festival d'Art sacré en l'église Notre-Dame du Liban, Paris.
Jephtha rendu profane
L'ensemble de David Stern Opera Fuoco.
Chez Haendel, la frontière entre opéra et oratorio est souvent mince. Plus qu'une expression de religiosité, le genre l'invite à d'audacieuses innovations formelles que les conventions de l'opera seria bridaient. Dernier chef d'oeuvre original, Jephtha atteint des sommets en la matière. Avec la lecture intensément théâtrale de David Stern, le Festival d'Art Sacré s'ouvre sous des cieux résolument profanes.
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Opera Fuoco : le nom de l'ensemble créé par David Stern et le gambiste Jay Bernfield est en soi un manifeste. La musique s'entend comme principal vecteur de théâtralité. Il n'est d'ailleurs que de se souvenir que tous les oratorios anglais de Haendel ont été créés au théâtre. Jephtha ne pouvait donc se concevoir que sous l'éclairage de son éloquent sous-titre : sacred drama. La proximité qu'entraîne la disposition particulière de l'Eglise Notre-Dame du Liban ne fait qu'accentuer ce sentiment d'immersion totale dans l'expression et l'action, que vient souligner le respect des didascalies.
Comme pour son enregistrement de Semele, soumis à des coupes presque sombres, David Stern a quelque peu resserré la partition de Haendel, mais avec une telle pertinence que rien ne semble tronqué. Le vaste mouvement voulu par Haendel, en une succession quasi-ininterrompue d'accompagnati, airs, ensemble et choeur, de l'accueil de Jephtha victorieux par sa fille Iphis à l'apparition de l'Ange, est exalté par la fulgurance d'un Finale privé de ses airs les plus décoratifs.
Mais il ne s'agit pas là que d'une réflexion plus ou moins légitime sur la forme : la réalisation est plus qu'à la hauteur. La jeunesse de l'Ensemble, choeur et orchestre en effectif minimal, est sans doute pour beaucoup dans un certain manque de densité, notamment dans le déploiement timide des cordes graves, mais l'impulsion, l'élan que leur prodigue David Stern, épaulé par le continuo remarquablement mené de la viole aux sonorités envoûtantes de Jay Bernfield, sont d'une efficacité confondante.
L'hybris joue à plein, en courbes intrépides, lancées et jamais relâchées, d'une variété, d'un renouvellement de colorations – travail rare – proprement hallucinants : le monde, insensé, qui sépare le rayonnant Tune the soft melodious lute d'Iphis de cet Open thy marble jaws, O tomb désespéré, agonisant de Jephtha.
Incontestable Paul Agnew
Incontestable, Paul Agnew y joue de sa large palette de clairs-obscurs, jusqu'aux abîmes d'une concentration suffocante, d'une qualité de silence et d'attention comme sous l'hypnose du masque tragique. L'art de la déclamation est d'une intensité sans pareille, par la variété d'accents inouïs, de ressources techniques infinies, et le grain si particulier du timbre, d'aigu tour à tour vindicatif (His mighty arm, with sudden blow) et tendre, suspendu (Waft her, angels, through the skies), de vocalises triomphantes.
De tant de qualités, le ténor anglais est trop authentiquement, intelligemment artiste pour écraser, inévitablement, des partenaires de moindre envergure. Lisa Larsson est en charme vocal pur, innocent, un peu limitée dans Farewell, ye limpid springs and flous, et Guillemette Laurens, aussi habitée que possible dans Scenes of horror, scenes of woe, accuse des inégalités de timbre qui auront raison du furieux Let other creatures die.
Pour le fade Hamor, Robert Expert a tout sauf la simplicité d'un timbre de belle qualité : maniéré ou trivial, en aigus éructés et graves poitrinés de matrone verdienne, il doit se dépêtrer sans cesse d'attaques incertaines, de justesse comme d'émission. Remarqué, le Zebul efficace et de belle étoffe d'Alain Buet, et vite oublié l'Ange sans grâce de Christine Rigaud.
Mais l'élan commun crée une seule voix d'irrépressible ferveur tragique.
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