La Selva morale e spirituale, littéralement « forêt morale et spirituelle Â», publiée en 1641, a valeur de testament musical de Claudio Monteverdi, à l'instar du Huitième livre de madrigaux et du Couronnement de Poppée pour le versant profane. Ce foisonnant recueil de musique sacrée regroupe des pièces dont la composition s'étendrait de la publication des fameuses Vêpres de la Vierge de 1610 à 1640, date figurant sur l'édition de Bartolomeo Magni.

Le maître de chapelle de Saint-Marc s'y illustre dans un large éventail stylistique, du motet soliste au madrigal, de la polyphonie la plus stricte au stile concertato le plus flamboyant. Les psaumes du cursus masculin des Vêpres y occupent une large part, tous doublés à l'exception du Confitebor et du Laudate Dominum pour lesquels Monteverdi propose trois versions différentes.

Si une exécution intégrale n'est de ce fait guère concevable, cette profusion permet de multiples reconstitutions d'offices vespéraux. Rinaldo Alessandrini consacre ici San Marco, suivant une liturgie rigoureuse où les psaumes alternent avec des antiennes en plain-chant, parvenant à un équilibre stylistique exaltant.

Hormis le Confitebor à trois voix et basse continue, le chef italien privilégie en effet les grands effectifs et le stile concertato avec accompagnement de violons, conférant un caractère à la fois solennel et brillant à un office ordonné comme suit : Dixit Dominus secondo, Confitebor primo, Beatus vir primo, Laudate Pueri primo, Laudate Dominum secondo et Magnificat primo, auquel s'ajoute l'hymne Exultet orbis gaudiis, sur la musique de l'Iste Confessor.

A un par pupitre, les huit chanteurs du Concerto Italiano y déploient une virtuosité et des couleurs où ferveur et sensualité se mêlent en un subtil dosage. Si quelques voix, dominées par les envolées séraphiques d'Alena Dantcheva, s'y distinguent par un grain plus séduisant – Sergio Foresti – ou plus affirmé – Luca Dordolo –, l'ensemble est porté par la respiration commune insufflée par Rinaldo Alessandrini. Maître de chapelle d'une acuité rythmique inspirée, il épanouit le son du bout des doigts, ressuscitant les fastes musicaux de la Venise seicentesque au coeur de la Basilique de Saint-Denis.

Il y reviendra d'ailleurs l'an prochain pour les Vêpres de la Vierge, dont il vient de signer un enregistrement éblouissant chez Naïve. Espérons pour l'heure que sa maison de disques lui offrira la possibilité de graver l'intégralité de la Selva morale spirituale, indispensable contribution transalpine à une discographie trop clairsemée dominée par le Cantus Cölln de Konrad Junghänel et l'ensemble Akadêmia de Françoise Lasserre.