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CRITIQUES DE CONCERTS |
05 octobre 2024 |
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Version de concert de Griselda de Vivaldi sous la direction de Jean-Christophe Spinosi au Théâtre des Champs-Élysées, Paris.
Dynamite vivaldienne
C'est maintenant une habitude : chaque rentrée, la monumentale Edition Vivaldi lancée par Naïve se traduit dans les salles de concert par un opéra du Prete Rosso confié à Jean-Christophe Spinosi et à son ensemble Matheus. Après Orlando furioso et La Fida Ninfa, le Théâtre des Champs-Élysées accueille la Griselda.
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Théâtre des Champs-Élysées, Paris
Le 21/09/2005
Yutha TEP
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Petits bonheurs au purgatoire
Folle Ă©quipe
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Le Roi de Thessalie, Gualtiero, a épousé une simple bergère, Griselda, mais l'opposition de son propre peuple devant cette mésalliance le contraint à tenter mille ruses pour imposer sa bien-aimée – cela passe essentiellement par une répudiation simulée, qui a en outre l'avantage d'éprouver au passage la fidélité d'une épouse évidemment laissée dans l'ignorance du stratagème. Cette histoire alambiquée due à Apostolo Zeno – revue et corrigée par Carlo Goldoni pour Vivaldi – n'est pas meilleure ni pire que la plupart des livrets de l'opera seria baroque.
Le compositeur, dans sa grande maturité vénitienne, en profite pour y déployer toutes les ficelles de son métier, au travers d'airs parcourant l'éventail des sentiments humains et par la même occasion les capacités pyrotechniques des meilleurs gosiers de l'époque : rappelons simplement que les légendaires Anna Giro en Griselda, Margherita Giacomazzi – un « Farinelli en jupon », affirme l'éminent vivaldien Frédéric Delaméa dans le texte de présentation – en Costanza ou Lorenzo Saletti en Ottone prirent part à la création en 1735. Autant dire que la difficulté d'exécution est souvent terrifiante, parfois franchement inhumaine. La résurrection des opéras de Vivaldi est en ce sens bien plus compliquée que celles des chefs-d'oeuvre haendéliens.
Il serait donc malvenu de faire la fine bouche devant la débauche virtuose que la distribution rassemblée a assénée au public des Champs-Élysées. Ainsi de Veronica Cangemi : la soprano argentine en Costanza connaît peu de rivales en termes de vélocité pure (Cecilia Bartoli
) et son aria di tempesta, Agitata da due venti, emporté à l'arraché, a fait souffler un vent de folie qui relègue au second plan les quelques scories sur le plan de la justesse et des effets vocaux pas toujours de bon goût.
La jeune mezzo-soprano française Blandine Staskiewicz ne manque pas non plus d'abattage et le timbre est lumineux, mais elle est ponctuellement débordée par les exigences incroyables du rôle d'Ottone – un Scocca dardi l'altero duo ciglio quasiment inchantable. L'exacte carrure vocale et expressive, le ténor Stefano Ferrari en Gualtiero la possède (la couleur de la voix n'est cependant pas la plus charmeuse du monde), avec notamment une technique de souffle impressionnante qui lui permet d'escalader avec une aisance confondante Se ria procella.
Volcanique Sonia Prina
Face à ces feux d'artifice, Sonia Prina en Griselda répond par une puissance déclamatoire et un engagement volcanique qui conviennent idéalement au rôle-titre, plus expressif que réellement belcantiste. Philippe Jaroussky en Roberto n'a guère à s'employer – encore qu'il lui faille affronter des notes redoutables dans l'extrême aigu et l'extrême grave –, mais quelques mesures suffisent à imposer un raffinement belcantiste incomparable. Il faudra attentivement surveiller l'autre contre-ténor, Iestyn Davies, en Corrado, que ses moyens devraient mettre rapidement sous le feu des projecteurs.
Cette Griselda, malgré des coupures conséquentes, aurait pu rester une simple succession d'airs acrobatiques : c'est le grand mérite de Jean-Christophe Spinosi et de ses complices d'avoir su maintenir une tension du discours permanente. Passons sur le flou parfois audible du continuo – disposé sur le plateau de manière étrange –, sur des cordes qu'on a entendu plus homogènes et plus sonores, mais qui demeurent un outil parfaitement efficace.
Retenons par contre une motricité rythmique et un ambitus dynamique que d'aucuns jugeront excessifs, mais qui font vivre de manière irrésistible la musique de Vivaldi. Obnubilé par sa capacité à proprement dynamiter une partition, on oublie trop vite que Spinosi est aussi capable de caresser des lignes de chant éperdues, de galvaniser en tout cas ses solistes.
Soutenue par une telle énergie, l'Edition Vivaldi a encore de beaux jours devant elle : un Théâtre des Champs-Élysées archi-comble en est une preuve éclatante.
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