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CRITIQUES DE CONCERTS |
05 octobre 2024 |
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Version de concert de la Clémence de Titus de Mozart sous la direction de René Jacobs au Théâtre des Champs-Élysées, Paris.
Une Clémence révolutionnaire
De René Jacobs, maître absolu de l'opera seria, on attendait une exploration raisonnée du répertoire mozartien. Mais le chef gantois a préféré l'aborder dans le désordre, révolutionnant Così fan tutte, avant de s'attaquer aux Noces de Figaro, puis à la Flûte enchantée. Longtemps espérée, sa lecture de la Clémence de Titus s'est révélée plus radicale encore.
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Théâtre des Champs-Élysées, Paris
Le 19/11/2005
Mehdi MAHDAVI
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A ce jour, la Clémence de Titus aura donc connu deux révolutions. Le reflet de la première, initiée au Théâtre de la Monnaie de Bruxelles par Sylvain Cambreling et Karl-Ernst Herrmann, n'est parvenu au Palais Garnier qu'au bout de vingt-trois ans, après un détour par Salzbourg. La seconde, purement musicale, n'aura attendu que quatre jours pour investir le Théâtre des Champs-Élysées, depuis Bruxelles, toujours, où René Jacobs donnait sa première lecture de l'ultime opera seria de Mozart.
Lorsqu'il compose la Clémence de Titus, dans la hâte d'une commande officielle, le genre est déjà moribond, et l'aria da capo, qu'il a participé à remodeler, presque enterrée. Il aborde donc le livret de Métastase, adapté par Caterino Mazzolà , en révolutionnaire. Et si la réforme du genre engagée dans Idoménée devait beaucoup aux précédents de Jean-Chrétien Bach, Traetta, et Gluck, cette ultime tentative se réclame davantage, sur le plan formel, de l'opera buffa, dont Così fan tutte, oeuvre ambiguë entre toutes, constitue le sommet. Ainsi, rien n'égale en pur dramatisme le Finale du premier acte de la Clémence de Titus, né de cette fusion des genres.
A son tour, René Jacobs s'attaque à l'oeuvre en révolutionnaire, faisant, comme à son habitude, table rase de toutes les traditions. D'emblée, le chef affirme sa maîtrise de tous les éléments : de la moindre virgule au moindre silence, et à l'ornement le plus spectaculaire, rien dans cette lecture ne sera laissé au hasard, ou à l'initiative personnelle. A première ouïe, les tempi peuvent paraître bousculés, leur progression abrupte, mais le sens dramaturgique, comme la profusion de couleurs du Freiburger Barockorchester les éclaire, dès lors que Vitellia n'a jamais raillé Sextus avec une telle évidence.
Fulgurances théâtrales
Il faudra, pour goûter ces fulgurances théâtrales du geste musical, faire le deuil d'un certain hédonisme du chant mozartien : René Jacobs s'engage en effet dans une course contre les abîmes du destin, ceux-là même qui conduisent Sextus à n'être plus qu'un pantin du désir féminin. Et la métrique scrupuleusement respectée du récitatif, au lieu de corseter le sens, exalte une progression implacable, où chaque articulation du texte entraîne une inflexion de la dynamique.
La Vitellia d'Alexandrina Pendatchanska s'investit dans cette voie avec une incomparable flamme. De la dissociation des registres extrêmes, elle nourrit un entêtant venin vocal, passant du cri au murmure sans jamais se départir de cette évidence de la ligne qui métamorphose Non più di fiori en un bouleversant suicide musical.
Par l'ampleur, les couleurs, et surtout le frémissement, Bernarda Fink donne à la soumission de Sextus un relief saisissant. Et Marie-Claude Chappuis, musicienne inspirée, affronte plus que crânement les tensions d'Annius, face à la Servilia de Sunhae Im, qui serait délicieusement minuscule si son aigu ne vrillait tant.
Dans une conception traditionnelle, Mark Padmore manquerait sans doute pour Titus de métal, d'héroïsme, et de mordant dans la vocalise. Mais le phrasé élégant et la noblesse de timbre du ténor britannique imposent un empereur jeune et torturé, encore à la conquête d'une autorité que lui confèrera le pardon final, comme l'aboutissement d'un parcours initiatique.
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