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CRITIQUES DE CONCERTS |
01 décembre 2024 |
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Nouvelle production de Don Giovanni de Mozart mise en scène par Michael Haneke et sous la direction de Sylvain Cambreling à l'Opéra de Paris.
Don Giovanni entre Mickey et Karl Marx
Mireille Delusch (Donna Elvira)
Le voilà enfin, ce Don Giovanni de toutes les rumeurs, de toutes les conjectures ! Artistes ne dévoilant pas un mot avant la première, répétition générale opportunément annulée, tout concourait à faire monter la tension devant la première mise en scène opératique du cinéaste Michael Haneke. Et pourtant, on s'y ennuie ferme !
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Un Don Giovanni contemporain, dans le décor unique d'une tour du quartier d'affaires de La Défense, de nuit, avec les allées et venues du personnel d'entretien (parmi lesquels Zerlina et Masetto), c'est de cette manière que Michael Haneke entendait fêter Mozart pour le 250e anniversaire de sa naissance. Les rapports de force dénués d'humanité du directeur Giovanni avec ses subalternes, la violence de ses assauts sexuels – y compris sur Leporello –, ses doutes qui le poussent au bord du suicide, tout cela fonctionne au départ plutôt bien.
Mais le second acte s'échoue progressivement dans le gauchisme le plus éculé. Haneke nous ressert, à la manière du panzer, Karl Marx et sa lutte des classes : il est jusqu'à Ottavio et Anna de revêtir les blouses du personnel d'entretien, qui, sous des masques de Mickey tout droit sortis de Marne-la-Vallée, défenestre le burlador – au préalable poignardé par Elvire –, symbole de l'intolérable condition des petites gens. La révolution est en marche, les patrons n'ont qu'à bien se tenir ! De même, la traduction aménagée pour le surtitrage (« paysanne » devient « employée », etc.) trahit la difficulté du metteur en scène à assumer le décalage entre ce que dit le livret et ce que l'on voit effectivement.
Mais surtout, on sent Haneke à l'étroit dans le carcan du temps musical, et chaque récitatif est ainsi gratifié d'une lenteur mortelle et de silences interminables ; aussi la tension chute après chaque numéro, privant l'opéra de trajectoire dramatique continue. Qu'est un Don Giovanni sans le rythme, sans la flamme, la passion, le sentiment de course à l'abîme qui mène inexorablement le séducteur à son anéantissement ?
Enfin, si la direction d'acteurs est efficace, variée, les déplacements étudiés, cinégéniques, l'Autrichien a tendance à oublier qu'on ne dirige pas des chanteurs comme des acteurs. À quoi bon obliger les personnages à chanter presque un tiers de leurs airs dos au public ou tellement en fond de scène qu'on en perd le texte et la ligne de chant ? En résulte une synchronisation plateau-orchestre souvent catastrophique. Pas un air, pas un ensemble où les chanteurs ne soient en retard sur l'orchestre !
Autre point noir de cette nouvelle production, la direction de Sylvain Cambreling, objet d'une véritable bronca aux saluts. Après avoir été à Salzbourg l'artisan de Noces de Figaro trépidantes, comment le chef français peut-il rater à ce point son Don Giovanni ? Le geste est brusque, raide, la battue séquentielle, sans nuances, incapable d'insuffler un semblant de continuité au sein des numéros. On a de même rarement entendu l'orchestre de l'Opéra aussi peu concerné – cordes anémiées, bois au vilain vibrato.
Une très belle distribution
Heureusement, la distribution sauve la donne. Le Leporello beau gosse de Luca Pisaroni, splendide de voix, latin de timbre, jamais en défaut d'italianità et à l'énorme capital sympathie rafle littéralement la mise, jusqu'à faire de l'ombre au pourtant excellent Don Giovanni de Peter Mattei, acteur consommé dont la voix connaît des hauts – l'air du champagne – et des bas – la justesse de la sérénade. Shawn Mathey est un Don Ottavio très tenore di grazia, un rien nasal, au beau legato, à l'aigu lumineux et ductile ; David Bizic un Masetto pataud et grognon à souhait.
Les dames sont plus inégales. La Donna Elvira de Mireille Delunsch, troublante de fragilité, de musicalité à fleur de timbre, est un cas à part, avec son accroche très haute et ses sons pincés qui sont affaire de goût, mais elle reste le seul personnage touchant d'une mise en scène glacée. En revanche, la Donna Anna beaucoup trop légère de Christine Schäfer déçoit. Le timbre, qu'on a connu miraculeux, est comme voilé par de l'air, surtout dans le haut de la tessiture. Enfin, jolie Zerlina, un rien pointue, d'Aleksandra Zamojska.
Un peu juste tout de mĂŞme pour faire triompher ce Don Giovanni entre Mickey et Karl Marx.
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