|
|
CRITIQUES DE CONCERTS |
11 octobre 2024 |
|
Nouvelle production du Couronnement de Poppée dans la mise en scène de Nicolas Joel et sous la direction de Christophe Rousset au Théâtre du Capitole, Toulouse.
Fastueuse Poppée
Qu'elle est fastueuse, cette Poppée toulousaine sertie dans le marbre ! La monumentalité sied-elle pour autant au théâtre de Busenello et Monteverdi, plongée inégalée dans les tréfonds de l'âme humaine ? Car les grandes voix et l'allégorie de la Rome mussolinienne ne seraient que luxes inutiles sans la réalisation aussi somptueuse que philologique de Christophe Rousset.
|
|
Wozzeck chez Big Brother
L’art de célébrer
Géométrie de chambre
[ Tous les concerts ]
|
La Rome mussolinienne vaut bien, en démesure comme en cynisme, la Rome néronienne, d'autant que de la Domus Aurea au palazzo inspiré de ce colosseo quadrato restitué à sa rotondité par Ezio Frigerio, où déambulent, sous le regard de marbre d'allégories sportives, les ragazze souplement vêtus par Franca Squarciapino, l'analogie est évidente. Pour son entrée dans le temple du répertoire qu'est le Théâtre du Capitole, Nicolas Joel couronne donc Poppée dans les heures les plus noires de l'Italie du siècle dernier, sans pour autant chercher à en éclairer les ambiguïtés, à en explorer les méandres, ni se plonger dans ces bas-fonds qui font la modernité même d'un livret insurpassé.
Dès lors, la transposition, plutôt la parabole, ne peut que se suffire à elle-même, somptueux écrin pour un théâtre sans doute trop linéaire et littéral, mais le plus souvent habile, et surtout parfaitement lisible dans la caractérisation des personnages, alors même que certains y sont laissés pour compte. N'était son adieu à Rome, comme un adieu à la scène, Octavie devrait en effet se contenter d'un répertoire de poses mélodramatiques, à l'instar d'un Néron cousin du dictateur de Chaplin plutôt que du Duce.
Précédée de sa réputation de tragédienne, Catherine Malfitano est ainsi livrée à elle-même, non sans intensité. Davantage Agrippine qu'Octavie – Busenello n'y est pas étranger –, la soprano américaine, qui fut une grande Poppée, peine dans une tessiture aussi bien que dans un style pour lesquels sa voix n'a plus l'assise nécessaire, mais sait encore parer l'impératrice de quelques éclats foudroyants.
Plus problématique encore est le Néron de Sophie Koch, dont la voix merveilleusement épanouie dans Strauss et Mozart paraît embarrassée par la souplesse et la diction requises par ce répertoire, constamment obligé qu'il est de composer avec une absence totale de naturel et pour corollaire un contraste cruel, et d'autant plus dommageable pour l'équilibre de leurs duos, avec la Poppée blond platine d'Anne-Catherine Gillet. Passées quelques attaques d'une langueur stylistiquement douteuse, la jeune soprano incarne l'ambitieuse courtisane avec un brio vocal et scénique éblouissant, la souplesse de l'instrument faisant écho aux contorsions par lesquelles le metteur en scène la fait serpentine.
Les portraits les plus savoureux n'en échoient pas moins aux nourrices, Arnalta de stentor de Gilles Ragon et Nutrice sèche et moustachue du très prometteur Anders Dahlin, comme au Lucain idéalement virtuose d'Emiliano Gonzalez-Toro, tandis que la Drusilla piquante de Sabina Puertolas a, de retour de sa partie de tennis, des allures de Damigella.
Un Othon simplement prodigieux
Et si le Sénèque aride du très verdien Giorgio Giuseppini n'a aucune envergure, l'Othon de Max Emanuel Cencic est simplement prodigieux. Par la beauté et l'égalité de son timbre naturellement sombre, le contre-ténor yougoslave parvient en effet à exprimer toute la fragilité d'un personnage dont la plupart des interprètes n'ont pu surmonter l'apparente fadeur.
De cette distribution stylistiquement hétérogène, qui voit finalement triompher les « baroqueux », Christophe Rousset n'en obtient pas moins une belle unité. Agrémentant les voix de violons et d'alto de l'ornamento de flûtes et de cornets, le chef et claveciniste tisse avec ses Talens Lyriques un continuo d'une variété de couleurs et d'une vivacité rythmique tourbillonnantes. Souvent atténuée par le monumentalisme des décors, l'esthétique de contrastes si essentielle dans l'opéra vénitien se trouve ainsi exaltée par une réalisation musicale d'une mobilité exemplaire.
| | |
|
Théâtre du Capitole, Toulouse Le 07/04/2006 Mehdi MAHDAVI |
| Nouvelle production du Couronnement de Poppée dans la mise en scène de Nicolas Joel et sous la direction de Christophe Rousset au Théâtre du Capitole, Toulouse. | Claudio Monteverdi (1567-1643)
L'Incoronazione di Poppea, dramma in musica en un prologue et trois actes (1642)
Livret de Giovanni Francesco Busenello, d'après le livre XIV des Annales de Tacite.
Les Talens Lyriques
direction : Christophe Rousset
mise en scène : Nicolas Joel
décors : Ezio Frigerio
costumes : Franca Squarciapino
Ă©clairages : Vinicio Cheli
Avec :
Raffaella Milanesi (Virtu, Damigella, Pallade), Giorgia Milanesi (Fortuna, Valletto), Khatouna Gadelia (Amour), Max Emanuel Cencic (Othon), Emiliano Gonzalez Toro (Soldat, Lucain, Familier, Tribun), Anne-Catherine Gillet (Poppée), Sophie Koch (Néron), Gilles Ragon (Arnalta), Catherine Malfitano (Octavie), Anders Dahlin (La nourrice, Familier), Giorgio Giuseppini (Sénèque), Sabina Puertolas (Drusilla), Ivan Ludlow (Mercure, Consul, Licteur), Alfredo Poesina (Liberto, Soldat, Tribun), Laurent Labarbe (Familier, Consul). | |
| |
| | |
|