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CRITIQUES DE CONCERTS |
10 octobre 2024 |
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Nouvelle production des Noces de Figaro de Mozart mise en scène par Claus Guth et sous la direction de Nikolaus Harnoncourt au festival de Salzbourg 2006.
Salzbourg 2006 (5) :
L'ange des illusions perdues
Anna Netrebko (Susanna)
Superbe réussite que ces Noces de Figaro suprêmement poétiques, dans la mise en scène pessimiste et désillusionnée de Claus Guth, fonctionnant en parfaite synergie avec la direction au scalpel, lentissime d'un Harnoncourt plus à l'affût que jamais de malaise et d'ambiguïté. Un spectacle marquant, qui risque de faire date dans la ville de Mozart.
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La scénographie donne d'emblée le ton : on ne rira guère pendant ces Noces de Figaro se déroulant dans le vestibule d'une maison de maître aux murs rongés par l'humidité, où filtre en permanence une lumière automnale, où des feuilles mortes jonchent le sol, où des corbeaux sont venus s'échouer. Le rideau se lève sur les trois couples de l'intrigue, figés dans des postures traduisant le mal-être, la lassitude, le regard perdu dans le vague, les épaules comme accablées du poids de la désillusion.
Fil conducteur de l'action, un ange muet aux allures de double de Chérubin donne vie aux couples statufiés, intervient à chaque imbroglio, prend possession des corps et des esprits, révélant les natures, troublant les relations, exhalant la grâce, semant la discorde.
À la fin d'un quatrième acte initiatique, passé les épreuves, les couples se ressoudent tel des os après une fracture, solidifiés, plus prêts que jamais à affronter l'avenir. Seul Chérubin, le moins aguerri, le seul qui croie encore à la pureté de l'amour, se laisse encore attendrir par l'ange, et s'effondre sans vie au tomber de rideau, image forte entre toutes.
Si pendant des années on s'est plutôt contenté d'illustrer scéniquement la trilogie Mozart-Da Ponte comme une simple farce, la tendance semble être aujourd'hui à en exalter surtout le second degré, les ambiguïtés qui correspondent tellement mieux au malaise de notre XXIe siècle. Mais là où à notre sens le récent Così de Chéreau sombrait dans une noirceur un peu excessive, ces Noces bergmaniennes de Claus Guth ne franchissent jamais la limite et agissent de manière toujours subtile et poétique.
Remplaçant pour les deux dernières représentations la Comtesse chaotique de Dorothea Röschmann, Juliane Banse défend un personnage moins halluciné et réserve de beaux moments, même si l'instrument pâtit d'un encombrant vibrato et d'un timbre trop sombre, sans jeunesse. De même, on reste mitigé devant le Comte psychotique de Bo Skovhus, qui passe souvent en force au détriment du timbre, laissant présager une extinction à la Hampson.
Ildebrando D'Arcangelo a cette présence mâle, ce timbre latin et noir à la Siepi qui en font un Figaro idéal, Anna Netrebko l'ombre sur le timbre qui, loin des sopranos légers, donne du chien à sa Suzanne, tout en se rapprochant de la typologie vocale de Nancy Storace, la créatrice. Et même si l'émission et l'italien pourraient être moins enrobés, l'incarnation est là . Comme ce Chérubin rêveur, qui a l'amour triste et dont Christine Schäfer s'approprie au mieux la tessiture centrale, sans jamais trahir que le rôle n'est pas pour elle, jusqu'à recevoir l'ovation la plus chaleureuse aux saluts.
Une jolie Barberine (Eva Liebau), d'excellents Basilio et Antonio (Patrick Henckens et Florian Boesch), un Bartolo poussif (Franz-Josef Selig), une Marcelline un peu limite dans son air (Marie McLaughlin) complètent le tableau. Mais au final, on retient surtout le travail d'équipe, tant l'ensemble paraît l'emporter sur l'individuel, et tant les chanteurs ne sont guère aidés par la battue du chef.
Maestro lentissimo
Car le démiurge Harnoncourt se prend parfois pour Furtwängler, optant pour des tempi souvent lentissimes – on ressort de la Haus für Mozart plus de quatre heures après y être entré. Mais ce travail au scalpel, jamais anodin, ne laissant aucune tenue des bois dans l'ombre, faisant un sort à chaque note, distillant un insidieux poison, exerce un véritable pouvoir de fascination. Seule l'immense construction du finale des actes pairs y laisse quelques plumes, particulièrement celle du II, dont le duo initial (Esci ormai garzon malnato) vire à la retenue caricaturale, ruinant les phrases comme l'avancée dramatique.
Mais Harnoncourt est aussi le roi des contrastes et du rubato, et s'il entame le Non so più de Chérubin avec une célérité poussant la déclamation à ses limites, c'est pour l'achever comme à l'arrêt, hors tempo, et entrecoupé de silences qui sont autant de gouffres de doute, de réflexion, d'arrière-pensées.
Un travail de fosse génial mais contestable, relayé avec une verdeur inhabituelle par des Wiener Philharmoniker bousculés dans leurs certitudes, mais qui fonctionne à merveille avec la partie scénique, aboutissant à l'un des spectacles les plus cohérents de l'ère Ruzicka à Salzbourg, qu'on pourra retrouver prochainement en DVD.
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Haus für Mozart, Salzburg Le 13/08/2006 Yannick MILLON |
| Nouvelle production des Noces de Figaro de Mozart mise en scène par Claus Guth et sous la direction de Nikolaus Harnoncourt au festival de Salzbourg 2006. | Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Le Nozze di Figaro, opera buffa en quatre actes, KV. 492 (1786)
Livret de Lorenzo da Ponte d'après le Mariage de Figaro de Beaumarchais
Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor
Wiener Philharmoniker
direction : Nikolaus Harnoncourt
mise en scène : Claus Guth
décors et costumes : Christian Schmidt
éclairages : Olaf Winter
préparation des choeurs : Andreas Schüller
continuo : Stefan Gottfried (clavecin) et Franz Bartholomey (violoncelle)
Avec :
Bo Skovhus (Il Conte Almaviva), Juliane Banse (La Contessa Almaviva), Anna Netrebko (Susanna), Ildebrando D'Arcangelo (Figaro), Christine Schäfer (Cherubino), Marie McLaughlin (Marcellina), Franz-Josef Selig (Bartolo), Patrick Henckens (Basilio), Oliver Ringelhahn (Don Curzio), Florian Boesch (Antonio), Eva Liebau (Barbarina), Uli Kirsch (Cherubim). | |
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