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CRITIQUES DE CONCERTS |
13 octobre 2024 |
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Reprise de la Clémence de Titus de Mozart mise en scène par Martin Kušej sous la direction de Christopher Moulds au festival de Salzbourg 2006.
Salzbourg 2006 (11) :
La clémence pour Titus ?
Dorothea Röschmann (Vittelia), Vesselina Kasarova (Sextus) et Luca Pisaroni (Publius).
Pour cette dernière de la Clémence de Titus de Martin Kušej à Salzbourg, Harnoncourt déclare forfait et Dorothea Röschmann, souffrante, sollicite l'indulgence du public. Loin de plomber la représentation, ces déboires devaient confirmer la force d'un spectacle cohérent et bien mené, malgré une direction et quelques voix plus anecdotiques qu'en 2003.
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Il est vrai qu'un chef d'orchestre qui annule une représentation, à plus forte raison une forte personnalité comme Harnoncourt, peut facilement compromettre toute la partie musicale d'un opéra. Mais, soit que Christopher Moulds s'en sorte très bien, soit que l'orchestre et les chanteurs soient bien dressés, l'ensemble se tient admirablement.
Bien sûr, la représentation dure un bon quart d'heure de moins, la rectitude s'assouplit, le tranchant s'émousse, les suspensions se raccourcissent ; demeurent pourtant la légèreté de la pâte sonore, la finesse de certains instants de tendresse, le débit très élastique des récitatifs, le soin des détails. Mais Vienne est Vienne, et Moulds n'est pas Harnoncourt. Sa lecture beaucoup moins extrême ronronne plus gentiment, encore qu'avec beaucoup de soin et d'élégance. On gagne en univocité, en grâce, en naturel, ce qu'on perd des paradoxes passionnants du fondateur du Concentus Musicus.
Il reste que le spectacle fonctionne parfaitement. La mise en scène pertinente de Martin Kušej porte un regard pessimiste sur la politique en tant que sphère malsaine où violence et pouvoir détruisent l'individu et l'idéal. Corrompus par la puissance, les rapports humains ne laissent plus de place qu'à des ébauches d'amours fantomatiques où s'égarent les personnages, Annio et Servilia désemparés, Sextus aveuglé par sa passion sensuelle pour Vitellia, Publio rompu aux intrigues du trône, Titus possédé de désordres et de désillusions. Dans ce palais où un mot peut répandre le sang ou les bienfaits se noue aussi un drame sur la confiance et le poison que dispense le pouvoir même dans les âmes honnêtes ou assoiffées d'honnêteté.
Au coeur de ce tourbillon, le Titus halluciné de Michael Schade domine par son inquiétante étrangeté la distribution. Ses accents de véhémence alternent avec la grâce la plus souriante et un sombre désespoir, en un chant visionnaire, rhétorique, de belle ligne, équilibrant idéalement l'héroïsme solaire de l'empereur, la délicatesse de l'ami sensible, et les terribles abîmes de noirceur d'une âme angoissée. Vesselina Kasarova et Dorothea Röschmann lui donnent suprêmement la réplique, l'une avec un art où absolument tout est discutable – attaques amorties par en dessous, hétérogénéité des registres, voyelles trafiquées – mais souverain, l'autre avec une flamme éblouissante en dépit d'une petite forme annoncée.
On a rarement entendu Sextus nimbé de plus de miel adolescent, nourri de contradictions plus tendres ; sans doute pas le plus passionné, mais certainement le plus sensible. Quant à la Vitellia très féminine dont il s'est épris, elle n'est que rayonnement sensuel, jamais à court de fièvre, d'injonctions, très reine, très amante jalouse. Arrangeant avec beaucoup d'art sa partie, Röschmann évite les notes les plus aiguës du rôle – au-dessus du la – mais on se demande pourquoi, tant l'émission est ce soir homogène, nettement plus en tout cas qu'en 2003.
Si Publio est toujours idĂ©alement servi par le naturel et la classe de Luca Pisaroni, on est en revanche mitigĂ© devant l'Annio impliquĂ© mais au timbre un peu blanc de Malena Ernman et la Servilia ni gracieuse ni vĂ©ritablement touchante de Veronica Cangemi. Elina Garanča naguère et mĂŞme Barbara Bonney nous avaient paru plus convaincantes, encore que l'engagement soit intact. Il n'Ă©tait pas de demander notre clĂ©mence : l'efficacitĂ© du chef, la ferveur du plateau et la force du spectacle ne pouvaient que convaincre.
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