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CRITIQUES DE CONCERTS |
05 octobre 2024 |
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Création de l'Autre côté de Bruno Mantovani dans la mise en scène d'Emmanuel Demarcy-Mota et sous la direction de Bernhard Kontarsky à l'Opéra du Rhin.
Mantovani rejoint l'autre côté
Très attendue, la création du premier opéra de Bruno Mantovani à l'Opéra du Rhin dans le cadre du festival Musica de Strasbourg s'avère une grande réussite. Porté par une équipe très impliquée, cet Autre côté, doté d'un livret exceptionnel, propulse le jeune compositeur français de trente-deux ans au rang de voix majeure du paysage musical contemporain.
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L'Angleterre avait Thomas Adès, l'Allemagne Matthias Pintscher, la France peut désormais, après la première de l'Autre côté à l'Opéra du Rhin, voir en Bruno Mantovani le jeune compositeur d'envergure que le milieu musical attendait depuis longtemps. On guettait ici ou là le parcours de ce jeune homme né en 1974, dont les pièces s'enchaînent à un rythme très soutenu. Cette création dans le cadre du festival Musica de Strasbourg, d'après l'unique roman du dessinateur autrichien Alfred Kubin, lui fait franchir un cap important.
C'est ici le sentiment d'urgence qui prédomine : urgence parfois étouffante, convulsive mais mue par une nécessité intérieure ; urgence du livret, de par la remarquable adaptation du roman de Kubin par François Regnault : Kubin, dessinateur autrichien reçoit un jour la visite d'un étrange messager envoyé par Claus Patera, un ancien camarade de classe. Ce dernier l'invite à le rejoindre dans l'empire qu'il a crée dans une lointaine contrée en Asie, un royaume utopique où l'être humain aurait enfin accès au bonheur : l'Empire du rêve. S'y installant avec sa femme, Kubin ne trouvera nullement le paradis qu'il escomptait mais devra au contraire faire face à un univers étrange régi par la force et les sortilèges.
Alternant déjà des scènes courtes dans son introduction, l'action se voit de plus en plus précipitée, jusqu'à aboutir dans la deuxième partie à des accès de violence et d'intensité. On pourrait aussi parler d'urgence concernant la mise en scène et l'interprétation musicale. Ce qui intéresse Emmanuel Demarcy-Mota, dont c'est ici la première mise en scène d'opéra, est moins la dimension politique que l'aventure d'un homme parti dans l'inconnu.
Sur un plateau largement plongé dans l'ombre, peu d'éléments : des échafaudages, un lampadaire, des escaliers. Sans distanciation, on reste captivé par la vérité de la gestuelle des chanteurs, jusqu'au plus petit figurant dans des scènes collectives minutieusement réglées. On sent l'implication de toute l'équipe technique, de l'Orchestre philharmonique et des Percussions de Strasbourg dirigés par Bernhard Kontarsky, et des chanteurs, en particulier de Marilyne Fallot et Fabrice Dalis, hallucinant dans le rôle principal.
Et pourtant, la musique de Mantovani, dont les références sont essentiellement germaniques, n'est pas vraiment aisée. Ainsi, ceux qui attendaient une prosodie française à la Pelléas en seront pour leur frais : si le texte reste parfaitement compréhensible, cela est le fait d'un « parlé » étrange, ni Sprechgesang ni récitatif, un peu systématique mais qui a le mérite d'être personnel et de maintenir le spectateur au coeur de l'action. De même, si le jeune compositeur semble porter allégeance à Schœnberg pour l'écriture orchestrale, avec de grandes déflagrations de cuivres que tempèrent parfois des mélodies de clarinette en quarts de ton, c'est surtout à Bernd Aloys Zimmermann et ses Soldats que l'on songe parfois, particulièrement dans les interludes orchestraux.
Mantovani tente une vaste synthèse de divers courants musicaux, et même si l'on peut trouver son écriture parfois systématique et monotone, on ne peut que rester ébloui devant l'intensité d'une musique déjà entendue ailleurs. Par sa force de conviction, le compositeur parvient miraculeusement à se réapproprier tous ces clichés de la musique contemporaine des cinquante dernières années. Maintenant que chacune de ses créations sera scrutée, attendue, disséquée, il est à souhaiter que Bruno Mantovani conservera cette urgence à manipuler l'histoire de la musique.
En attendant, l'Autre côté est un premier opéra prenant, qui redonne actualité et lettres de noblesse à une expressivité exigeante.
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